Jamila Sayouri : « adopter le Pacte des
droits de l’enfant en Islam, sans consulter le CNDH, reflète un certain chaos
constitutionnel »
Interviewée par Hajar Kharroubi –
23.08.2019
Le gouvernement a
approuvé hier l’adhésion du Maroc au Pacte des droits de l’enfant en Islam de
2005 alors que le tissu associatif ne cessait d’alerter sur une certaine
rétrogression introduite par ce texte relativement aux engagements
internationaux du Royaume en matière des droits de l’enfant.
Pour Jamila
Sayouri, avocate, membre du CNDH et présidente de Adala, l’association
«Justice», ce Pacte entravera la
progression des droits de l’enfant au Maroc. Interview.
- Le projet de loi relatif au Pacte des droits de l’enfant dans l’Islam de 2005 a été adopté par le Conseil de gouvernement ce jeudi. Quel est le contexte de son adoption ?
Il s’agit d’une
initiative sibylline, incompréhensible et nébuleuse. Je ne comprends pas
pourquoi l’examen de ce Pacte a été inclus dans l’ordre du jour du gouvernement
d’hier. Est-ce pour répondre à des intérêts politiques ? Est-ce pour juguler
les avancées réalisées par le Maroc en matière de droits de l’Homme ?
L’adoption de ce Pacte soulève actuellement plusieurs questions au moment où le
contexte international d’aujourd’hui est fortement marqué par les violations
des droits humains.
Les acteurs de la
société civile ont été abasourdis par la décision du Conseil de gouvernement
d’examiner le Pacte des droits de l’enfant en Islam de 2005 étant donné que le
CNDH ainsi que d’autres organismes nationaux n’ont pas été approchés pour
passer ce texte au peigne fin afin qu’ils puissent statuer sur la validité,
la constitutionnalité et la conformité de ce texte aux mécanismes
internationaux des droits de l’Homme ratifiés par le Maroc.
D’ailleurs,
l’article 27 de la loi organique du Conseil national des droits de l’Homme
stipule que les autorités publiques compétentes soumettent au CNDH, pour avis,
les projets de conventions internationales relatives aux droits de l’Homme dans
le but de garantir la cohérence de la politique de l’État et la complémentarité
des rôles de ses institutions au service de la promotion et de la protection
des droits de l’Homme. Le fait d’adopter directement ce Pacte par le Conseil de
gouvernement reflète un certain chaos constitutionnel.
- Selon vous, quelle est l’utilité de ce Pacte puisqu’il se base sur la Loi islamique ?
Etant donné que ce
Pacte ne se base que sur les préceptes islamiques de la charia et non pas sur
un référentiel international reconnu par l’ONU, il est restreignant en
tout ce qui concerne la protection des enfants dans nombre de cas, à savoir
l’appartenance religieuse, l’éducation ou la situation sociale de ceux nés hors
mariage.
Je ne trouve pas
d’intérêt à l’adopter puisque le Maroc a déjà signé et ratifié plusieurs
conventions, protocoles et mécanismes onusiens qui veillent à la protection et
la promotion des droits de l’enfant. En effet, la vision qui encadre ce Pacte
n’est pas à la hauteur des engagements internationaux du Maroc. Si le
Royaume adopte définitivement ce texte, il sera aussi question de s’interroger
sur la légitimité des autres mécanismes précédemment signés.
D’ailleurs, les
acteurs du tissu associatif doivent s’engager dans une dynamique de proposition
afin de poursuivre l’accumulation souhaitée des acquis dans le domaine des
droits de l’homme. Le Parlement ne doit absolument pas approuver ce texte.
- Selon l’article VI, « l’enfant a le droit à la vie depuis le moment où il est fœtus dans le ventre de sa femme, l’avortement est interdit », quel serait l’avenir donc du dialogue national sur l’avortement ?
Si jamais le Maroc
adhère à ce Pacte, tous les efforts qui ont été fournis pour légaliser
l’avortement tomberaient à l’eau. Les chiffres de l’Association marocaine de
planification familiale (AMPF) sont éloquents. Entre 600 et 800 avortements
clandestins sont pratiqués chaque jour. Avec toutes les conséquences
mortelles qu’engendrent ces opérations illégales.
Il faut savoir que
le projet de loi amendant le Code pénal a été adopté, le 9 juin 2016, par le
Conseil de gouvernement.
- Selon l’article XII, « l’enfant, approchant de la puberté, a le droit d’avoir une culture sexuelle saine », l’éducation sexuelle sera-t-elle enfin enseignée sur les bancs de l’école marocaine ?
Je ne pense pas que
ce sera le cas, il ne s’agirait que d’une éducation religieuse axée sur
préceptes de la Chariaa plus que sur une vraie éducation.
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