lundi 2 septembre 2019

« adopter le Pacte des droits de l’enfant en Islam, sans consulter le CNDH, reflète un certain chaos constitutionnel »


Jamila Sayouri : « adopter le Pacte des droits de l’enfant en Islam, sans consulter le CNDH, reflète un certain chaos constitutionnel »
Interviewée par Hajar Kharroubi – 23.08.2019

Le gouvernement a approuvé hier l’adhésion du Maroc au Pacte des droits de l’enfant en Islam de 2005 alors que le tissu associatif ne cessait d’alerter sur une certaine rétrogression introduite par ce texte relativement aux engagements internationaux du Royaume en matière des droits de l’enfant.
Pour Jamila Sayouri, avocate, membre du CNDH et présidente de Adala, l’association «Justice», ce Pacte entravera la progression des droits de l’enfant au Maroc. Interview.
  • Le projet de loi relatif au Pacte des droits de l’enfant dans l’Islam de 2005 a été adopté par le Conseil de gouvernement ce jeudi. Quel est le contexte de son adoption ?
Il s’agit d’une initiative sibylline, incompréhensible et nébuleuse. Je ne comprends pas pourquoi l’examen de ce Pacte a été inclus dans l’ordre du jour du gouvernement d’hier. Est-ce pour répondre à des intérêts politiques ? Est-ce pour juguler les avancées réalisées par le Maroc en matière de droits de l’Homme ? L’adoption de ce Pacte soulève actuellement plusieurs questions au moment où le contexte international d’aujourd’hui est fortement marqué par les violations des droits humains.
Les acteurs de la société civile ont été abasourdis par la décision du Conseil de gouvernement d’examiner le Pacte des droits de l’enfant en Islam de 2005 étant donné que le CNDH ainsi que d’autres organismes nationaux n’ont pas été approchés pour passer ce texte au peigne fin afin qu’ils puissent statuer sur la validité, la constitutionnalité et la conformité de ce texte aux mécanismes internationaux des droits de l’Homme ratifiés par le Maroc.
D’ailleurs, l’article 27 de la loi organique du Conseil national des droits de l’Homme stipule que les autorités publiques compétentes soumettent au CNDH, pour avis, les projets de conventions internationales relatives aux droits de l’Homme dans le but de garantir la cohérence de la politique de l’État et la complémentarité des rôles de ses institutions au service de la promotion et de la protection des droits de l’Homme. Le fait d’adopter directement ce Pacte par le Conseil de gouvernement reflète un certain chaos constitutionnel.
  • Selon vous, quelle est l’utilité de ce Pacte puisqu’il se base sur la Loi islamique ?
Etant donné que ce Pacte ne se base que sur les préceptes islamiques de la charia et non pas sur un référentiel international reconnu par l’ONU, il est restreignant en tout ce qui concerne la protection des enfants dans nombre de cas, à savoir l’appartenance religieuse, l’éducation ou la situation sociale de ceux nés hors mariage.
Je ne trouve pas d’intérêt à l’adopter puisque le Maroc a déjà signé et ratifié plusieurs conventions, protocoles et mécanismes onusiens qui veillent à la protection et la promotion des droits de l’enfant. En effet, la vision qui encadre ce Pacte n’est pas à la hauteur des engagements internationaux du Maroc. Si le Royaume adopte définitivement ce texte, il sera aussi question de s’interroger sur la légitimité des autres mécanismes précédemment signés.
D’ailleurs, les acteurs du tissu associatif doivent s’engager dans une dynamique de proposition afin de poursuivre l’accumulation souhaitée des acquis dans le domaine des droits de l’homme. Le Parlement ne doit absolument pas approuver ce texte.
  • Selon l’article VI, « l’enfant a le droit à la vie depuis le moment où il est fœtus dans le ventre de sa femme, l’avortement est interdit », quel serait l’avenir donc du dialogue national sur l’avortement ?
Si jamais le Maroc adhère à ce Pacte, tous les efforts qui ont été fournis pour légaliser l’avortement tomberaient à l’eau. Les chiffres de l’Association marocaine de planification familiale (AMPF) sont éloquents. Entre 600 et 800 avortements clandestins sont pratiqués chaque jour. Avec toutes les conséquences mortelles qu’engendrent ces opérations illégales.
Il faut savoir que le projet de loi amendant le Code pénal a été adopté, le 9 juin 2016, par le Conseil de gouvernement.
  • Selon l’article XII, « l’enfant, approchant de la puberté, a le droit d’avoir une culture sexuelle saine », l’éducation sexuelle sera-t-elle enfin enseignée sur les bancs de l’école marocaine ?
Je ne pense pas que ce sera le cas, il ne s’agirait que d’une éducation religieuse axée sur préceptes de la Chariaa plus que sur une vraie éducation.

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