lundi 2 septembre 2019

Le Maroc examine un pacte qui bloque la Convention internationale des droits de l’enfant


Ce jeudi, le conseil de gouvernement a approuvé l’adhésion du Maroc au Pacte des droits de l’enfant en Islam. En attendant son examen au Parlement, les acteurs de la société civile alertent que ce texte représente une régression par rapport aux engagements internationaux du pays, en tant que pays signataire de la convention de l’ONU des droits des enfants depuis 1993.
Le Pacte des droits de l’enfant en Islam, dit également Pacte de l’Organisation de la communauté islamique[1] des droits de l’enfant, comptera-t-il un nouveau signataire parmi les pays membres de l’OCI ? C’est ce que redoutent des acteurs de la société civile marocaine, puisque le gouvernement El Othmani a approuvé ce jeudi cette adhésion en appuyant le projet de loi n°58.19 relatif au texte, adopté en 32e session de l’OCI qui remonte à 2005.
En effet, ils alertent que le texte est non seulement insuffisant pour la protection des droits des enfants telle que prévues par le droit positif marocain, mais qu’il constitue aussi un blocage à la mise en conformité des lois internes avec les termes de la Convention de l’ONU[2] dans ce sens, huit ans après l’adoption d’une réforme constitutionnelle donnant la primauté au droit international.
Le référentiel du Pacte de l’OCI[3], pour les ONG, se base sur des préceptes islamiques de la charia et non pas sur un référentiel international reconnu par l’ONU. Par conséquent, il devient restrictif en termes de protection des enfants dans nombre de cas, à commencer par celui de l’appartenance religieuse ou la situation sociale de ceux nés hors-mariage.
Vu ainsi, le Centre d’études en droits humains et démocratie, une ONG basée à Rabat, a alerté mercredi sur une situation de blocage qu’il redoute en cas d’adhésion. Il s’interroge sur les raisons d’une telle initiative dans un contexte marqué par un débat vif sur l’évolution des mécanismes nationaux de la protection de l’enfance.
«En 1993, le Maroc a adhéré à la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée par les Nations unies en tant que document contenant les normes internationales les plus équitables», rappelle l’association dans un communiqué[4]. Celui-ci souligne aussi «la mise en place de mécanismes permettant le suivi de cette initiative, qui a contribué positivement au développement législatif [national] en déteignant sur les politiques publiques, même si elles sont empreintes de manquements».
«Le gouvernement propose maintenant de se conformer à une norme moins stricte en termes de normes et de droits, sans aucun mécanisme de suivi responsable. En quoi cette démarche serait nécessaire, utile et constructive (…) ?», s’interroge encore le Centre d’études.
Des termes controversés au regard de la dynamique nationale
En plus de constituer un blocage à cause de ses contradictions avec les termes de la Convention internationale des droits des enfants (CIDE), le Pacte de l’OCI «soulève des questions controversées» qui ont été au cœur «d’un dialogue national dynamique», notamment sur l’interdiction de l’avortement «sauf si la santé de la mère et du fœtus est en danger», en plus d’autres questions «litigieuses» qui peuvent entraver l’évolution de textes comme le Code de la famille, prévient encore le Centre d’études en droits humains et démocratie.
C’est ce que redoute le plus Zineb Elkhiati, de son côté. Vice-présidente de la Ligue marocaine de la protection de l’enfance à Taroudant, l’avocate contactée par Yabiladi fait part de sa consternation de voir « un projet de loi aussi problématique examiné aussi facilement ». Elle évoque même « une démarche catastrophique pour les acquis enregistrés jusqu’ici, mais également le fonctionnement de structures pour développer la mise en œuvre de la CIDE ».
Travaillant essentiellement avec les enfants abandonnés par leurs parents ou nés hors-mariage, elle souligne que l’ensemble de ces cas « bénéficieront de très peu de protection juridique telle que prévue actuellement, si le Maroc vient à adhérer au Pacte, alors que nous appelons à davantage d’avancées en conformité avec la CIDE et de ses protocoles ».
Egalement avocate, la militante voit ainsi que « ce texte consacre la discrimination et l’exclusion d’un nombre important d’enfants dans l’accès à leurs droits élémentaires, sous couvert de religion ». « Compte tenu de ce pacte, les enfants nés hors-mariage n’auront plus droit à un nom comme la CIDE prévoit le droit à l’identité, abstraction faite des conditions de vie, de la conception ou des appartenances, et comme le prévoient aussi des textes de nos lois qui donnent aux mères célibataires la possibilité d’inscrire leurs enfants à l’état civil », avertit-elle.
« Ce qui pose également problème, c’est que les notions du ‘licite’ et de l’‘illicite’ dans le Pacte de l’OCI partent de la particularité du droit islamique et non pas d’un principe universel global pour tous », s’inquiète encore Me Elkhiati. Si l’arsenal juridique au Maroc n’est pas dépourvu de textes inspirés de la jurisprudence musulmane, «la primauté au droit positif et aux traités internationaux de l’ONU constitue une ouverture pour faire évoluer ces textes, ce qui a été le cas jusqu’ici mais qui sera considérablement mis à mal par ce pacte », nous explique l’avocate.
« Je m’interroge tout autant sur le contexte de cette initiative, non seulement au moment où la société civile coopère avec l’Observatoire national des droits des enfants pour faire avancer les choses, mais également en période estivale où tous les concernés, notamment les députés et les parlementaires, ne sont pas sur place » - Zineb Elkhiati
Un appel à faire respecter une logique d’institutions
Dans ce contexte, le Centre d’études en droits humains et démocratie appelle à « donner effet aux rôles constitutionnels confiés aux institutions ». « Il aurait été plus efficace de mettre en œuvre l’article 27 du Statut du Conseil national des droits de l’Homme, qui dispose : ‘Les autorités compétentes transmettent au Conseil leurs projets de traités internationaux relatifs aux droits de l’Homme ». Une étape qui permet «la cohérence de la politique de l’Etat » et de «la complémentarité des rôles des institutions au service de la promotion et de la protection des droits humains ».
Ancienne présidente de la Commission régionale des droits de l’Homme (CRDH) à Casablanca-Settat, dépendant du CNDH, Soumicha Riyaha est également militante des droits des enfants. Pour avoir particulièrement travaillé avec les centres de sauvegarde de l’enfance et les enfants en conflit avec la justice, elle souligne qu’une adhésion du Maroc à ce pacte constituera «plus qu’un pas en arrière».
« C’est une dégradation au sein de la communauté internationale face à laquelle le Maroc s’est engagé à mettre en œuvre la CIDE. Le Conseil national des droits de l’Homme est d’ailleurs en train de mettre ne place un mécanisme de doléances accessible aux enfants dans une logique d’autonomisation, mais ce pacte sera clairement un blocage » - Soumicha Riyaha
Par ailleurs coordinatrice pédagogique des formations au sein de l’Institut Driss Benzekri pour les droits de l’Homme à Rabat, la militante souligne que « le principe d’égalité dans l’accès aux droits sera mis à mal par le Pacte de l’OCI, qui mérite une analyse critique et comparative avec le droit international ».
Face à ce constat, Soumicha Riyaha préconise une mobilisation urgente de la société civile mais également des institutions, en échos aux appels du Centre d’études en droits humains et démocratie à « faire preuve de prudence » et de « vigilance » face aux « conséquences qui pourraient résulter d’une adhésion au Pacte de l’OCI dans la pratique et au niveau de la législation, des procédures et de l’approche des politiques publiques »

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