Affronter la crise : priorités pour l’économie mondiale[1]
9 avril 2020 - Kristalina
Georgieva, Directrice générale du FMI
Introduction
: Une crise sans pareil
Je voudrais
tout d'abord adresser personnellement mes meilleurs vœux de santé et de
sécurité à vous tous et à vos proches en ces temps difficiles.
Nous sommes
aujourd’hui confrontés à une crise sans pareil. La COVID–19 a
chamboulé notre ordre social et économique à une vitesse éclair et dans des
proportions jamais vues de mémoire d’homme. Le coronavirus cause des pertes
tragiques en vies humaines et les mesures de confinement prises pour le
combattre touchent des milliards de personnes. Des choses qui étaient normales
il y a à peine quelques semaines (aller à l’école, aller au travail, passer du
temps en famille avec des amis) sont maintenant extrêmement risquées.
Je n’ai pas
de doute que nous surmonterons cette épreuve. Nos médecins et les infirmières
s’y attellent jour et nuit, risquant souvent leur vie pour sauver celle des
autres. Nos scientifiques trouveront des solutions pour briser le joug de la
COVID-19. Entre-temps, nous en appelons à la détermination de tous :
particuliers, pouvoirs publics, entreprises, chefs communautaires et
organisations internationales. Agissons de manière décisive et collégiale afin
de protéger des vies et les moyens de subsistance. C’est pour des
moments comme celui-ci que le FMI a été créé. Notre mission est de déployer la
force de la communauté mondiale afin de protéger les populations les plus
vulnérables et de redynamiser l’économie.
Les mesures
que nous prenons maintenant détermineront la vitesse et la vigueur de la
reprise. C’est sur cela que plancheront les 189 pays membres du FMI
avec qui nous nous réunirons virtuellement la semaine prochaine à
l’occasion de nos réunions de printemps.
C’est aussi
le sujet de mon intervention d’aujourd’hui.
État actuel
de l’économie mondiale
Commençons
par dresser l’état actuel des choses. Une incertitude extraordinaire règne
toujours quant à l’ampleur et la durée de la crise que nous traversons.
Cependant,
il est déjà évident que la croissance mondiale sera nettement négative en
2020, comme vous le verrez dans nos Perspectives de l’économie mondiale
la semaine prochaine. En fait, nous prévoyons le pire ralentissement économique
depuis la Grande dépression.
Il y a à
peine trois mois, nous projetions une croissance positive du revenu par
habitant dans plus de 160 de nos pays membres en 2020. Aujourd’hui, c’est bien
le contraire : nous projetons désormais que plus de 170 pays enregistreront
une croissance négative du revenu par habitant cette année.
Ces sombres
perspectives s’appliquent aussi bien aux pays avancés qu’aux pays en
développement. Cette crise ne connaît pas de frontières. Tout le monde est
éprouvé.
Les mesures
de confinement nécessaires pour ralentir la propagation du virus portent
gravement préjudice à l’économie mondiale. Cela est particulièrement vrai pour
le commerce de détail, l’hébergement, les transports et le tourisme. Dans la
plupart des pays, la majorité des travailleurs sont soit indépendants soit
employés de petites et moyennes entreprises. Ces entreprises et ces
travailleurs sont particulièrement vulnérables.
Et tout
comme les personnes vulnérables paient le plus lourd tribut à la crise
sanitaire, les pays vulnérables devraient payer le plus lourd tribut à la crise
économique.
Les pays
émergents et les pays à faible revenu d’Afrique, d’Amérique latine et d’une
grande partie de l’Asie encourent un risque élevé. Avec un système de
santé déjà faible, bon nombre d’entre eux sont confrontés à une tâche
redoutable : combattre le virus dans des villes densément peuplées et des bidonvilles
rongés par la pauvreté, dans lesquels la distanciation sociale est
difficilement envisageable. Avec moins de ressources au départ, ils
voient planer le danger des chocs actuels sur la demande et l’offre,
d’un resserrement brutal des conditions financières et, pour certains, d’une
dette non viable.
En outre,
ils subissent une énorme pression extérieure.
Au cours
des deux derniers mois, les sorties d’investissements de portefeuille
des pays émergents s’élevaient à environ 100 milliards de dollars,
plus du triple du niveau constaté en la même période pendant la crise
financière mondiale. Les pays exportateurs de produits de base accusent le
double coup de la chute des cours des matières premières. Quant aux envois de
fonds des travailleurs expatriés, dont dépend la survie de tant de personnes
pauvres, ils devraient fondre.
Selon nos
estimations, les besoins bruts de financement extérieur des pays émergents
et des pays en développement s’élèvent à des milliers de milliards de dollars.
Or, ils ne peuvent à eux seuls répondre qu’à une portion de cette demande, ce
qui laisse un déficit de financement de plusieurs centaines de milliards de
dollars. Ils ont besoin d’aide en urgence.
La nouvelle
encourageante est que tous les pays ont réagi et ce, de manière
très coordonnée. La semaine prochaine, notre Moniteur des finances
publiques montrera que les mesures budgétaires prises par les pays du monde
entier se chiffrent à environ 8 000 milliards de dollars. En
outre, les pays du G-20 et d’autres ont adopté des mesures massives sur le plan
monétaire.
Nombre de
pays plus pauvres prennent également des mesures budgétaires et monétaires
énergiques, bien qu’étant en proie à un choc brutal et malgré une force de
frappe de loin inférieure à celle de leurs homologues riches.
Voilà donc
une vue d’ensemble de l’état actuel de l’économie mondiale.
Il ne fait nul
doute que l’année 2020 sera exceptionnellement difficile. Si la pandémie
s’estompe au cours du second semestre, permettant ainsi une levée progressive
des mesures de confinement et une réouverture de l’économie, notre hypothèse
de référence est une reprise partielle en 2021. Mais je
réitère que ces perspectives sont soumises à une grande incertitude.
Elles pourraient se détériorer, en fonction de nombreux facteurs, dont
la durée de la pandémie.
Tout
dépendra essentiellement des mesures que nous prenons maintenant.
Que faut-il
faire ? Une stratégie à quatre volets
Voyons
maintenant comment parvenir à la reprise. À notre avis, il y a quatre
priorités.
· Premièrement, maintenir les mesures essentielles de confinement et de
soutien aux systèmes de santé. D’aucuns estiment
qu’il faut faire des arbitrages entre sauver des vies et sauver les moyens de
subsistance. C’est un faux dilemme selon moi. Étant donné que la crise découle
d’une pandémie, vaincre le virus et protéger la santé des personnes
constituent un impératif pour la reprise économique. Le message est donc
clair : accorder la priorité aux dépenses de santé permettant de réaliser des
tests et d’acquérir des équipements médicaux ; rémunérer les médecins et les
infirmières ; assurer le fonctionnement des hôpitaux et des centres de soins de
campagne. Pour beaucoup de pays, en particulier les pays émergents ou en
développement, cela revient à réaffecter minutieusement des ressources
publiques restreintes. Cela signifie également qu’il faut apporter plus de
ressources à ces pays. Je pense notamment à des marchandises vitales : nous
devons limiter la perturbation des chaînes d’approvisionnement et immédiatement
nous abstenir de contrôles à l’exportation d’équipements médicaux et de
produits alimentaires.
· Deuxièmement, protéger les personnes et les entreprises touchées grâce à
des mesures budgétaires et financières de grande envergure, ponctuelles et
ciblées. Cela varie en fonction des circonstances nationales, mais il peut
s’agir de reports d’impôts, de subventions salariales et de transferts
monétaires aux plus vulnérables ; d’une expansion de l’assurance–chômage
et de l’assistance sociale ; ou d’un ajustement provisoire des garanties
de crédit et des modalités des prêts. Certaines de ces mesures ont été prises
dans la première phase de la riposte. Beaucoup de pays préparent déjà la
deuxième phase. Les ménages et les entreprises ont impérativement besoin de
bouées de sauvetage. Nous devons empêcher que les tensions sur la liquidité
ne se transforment en problèmes de solvabilité et nous devons éviter
l’apparition de séquelles qui rendront la reprise économique beaucoup plus
difficile.
· Troisièmement, réduire les tensions sur le système financier et éviter
un effet de contagion. Dans sa prochaine édition, notre Rapport sur la
stabilité financière dans le monde analysera l’ensemble des facteurs de
vulnérabilité du secteur financier. Les banques ont accru leurs fonds propres
et leurs liquidités au cours des dix dernières années. Leur résilience sera
mise à l’épreuve dans ce contexte en mutation rapide. Le système financier
subit d’intenses pressions. Par conséquent, des mesures de relance monétaire
et des mécanismes de liquidité sont indispensables. Bon nombre de pays ont
abaissé leurs taux d’intérêt. Les grandes banques centrales ont activé les
lignes de crédit réciproques et en ont créé de nouvelles pour réduire les
tensions sur les marchés financiers. Accroître la liquidité d’un plus large
éventail de pays émergents apporterait un soulagement supplémentaire. De
surcroît, cela rehausserait la confiance.
· Quatrièmement, même si nous essayons encore d’endiguer la crise, nous
devons planifier la relance. Une fois encore,
nous devrons agir maintenant afin de limiter au minimum les éventuelles
séquelles de la crise. À cet effet, il faudrait réfléchir minutieusement au
moment approprié pour assouplir progressivement les restrictions, sur la
base de données prouvant que l’épidémie recule. Tandis que les mesures visant à
stabiliser l’économie produiront leurs effets et que l’activité commence à se
normaliser, nous devrons agir rapidement afin de stimuler la demande. Une
relance budgétaire coordonnée s’imposera. Là où l’inflation demeure faible et
bien ancrée, la politique monétaire doit rester accommodante. Les pays qui
disposent de plus de ressources et d’une marge de manœuvre devront faire
plus, tandis que les autres, dont les ressources sont limitées, auront
besoin de plus d’aide.
Le FMI jette
toutes ses forces dans la bataille
Cela me
mène au rôle du FMI.
Nous
travaillons 24 heures sur 24 pour fournir des conseils, de l’assistance
technique et des ressources financières à nos pays membres.
-
Nous avons une
capacité de prêt de 1 000 milliards de dollars que nous
mettons à la disposition de nos pays membres.
-
Nous répondons
aux demandes de financement d’urgence que nous avons reçues jusqu’à présent
de plus 90 pays membres, un record. Notre conseil d’administration
vient de s’entendre pour doubler l’accès à nos mécanismes d’urgence, ce
qui nous permettra de satisfaire à des demandes d’aide financière estimées à
environ 100 milliards de dollars. Des programmes de prêt ont déjà
été approuvés à une vitesse record, notamment pour le Kirghizistan, le Rwanda,
Madagascar et le Togo. Bien d’autres suivront.
-
Nous réexaminons
notre panoplie d’outils afin de déterminer comment nous pouvons mieux
employer les lignes de crédit de précaution pour rehausser le soutien à la
liquidité, établir une ligne de liquidité à court terme et répondre aux besoins
de financement des pays par d’autres moyens, y compris le recours aux droits de
tirage spéciaux. S’agissant des pays auxquels nous ne pourrions prêter parce
que leur endettement n’est pas viable, nous rechercherons des solutions
pour débloquer des ressources indispensables.
-
Nous avons remanié notre
fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes afin d’offrir un
allégement de dette immédiat aux pays à faible revenu victimes de la crise,
ce qui leur permettra de consacrer leurs ressources aux besoins sanitaires
urgents, plutôt qu’au remboursement de la dette. À présent, avec les bailleurs
de fonds, nous œuvrons pour porter ce fonds fiduciaire à 1,4 milliard
de dollars, en vue d’étendre la durée de l’allégement de dette.
-
Par ailleurs, avec
la Banque mondiale, nous invitons les créanciers bilatéraux officiels à
prononcer un moratoire sur le service de la dette des pays les plus
pauvres du monde.
Je suis
fière des services du FMI, car ils ne ménagent aucun effort face à cette crise.
J’attends avec intérêt les échanges que nous aurons pendant les réunions de
printemps la semaine prochaine, pour déterminer ce que nous pouvons faire de
plus.
Conclusion :
un test de notre humanité
Je voudrais
terminer sur cette citation de Victor Hugo : « Les grands
périls ont cela de beau qu’ils mettent en lumière la fraternité des inconnus ».
Unis par
cette menace commune, nous nous appuyons sur les plus grands atouts de notre
humanité : la solidarité, le courage, la créativité et la compassion. Nous ne
savons pas encore comment nos économies et nos modes de vie seront transformés,
mais nous savons que nous sortirons encore plus résilients de cette
crise.
Je vous
remercie.
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