Les enjeux du « déconfinement »
expliqués en schémas[1]
La perspective de la
fin du confinement pose des questions, comme l’avantage d’une levée
progressive, le risque d’une deuxième vague ou, enfin, que faire si on ne peut
pas éradiquer le virus ?
La question
à se poser sur la fin du confinement n’est pas seulement « quand »,
mais aussi « comment ». Car, au fil des semaines, se dessine un
scénario beaucoup plus complexe qu’une levée pure et simple des mesures mises
en place en France contre le Covid-19 depuis le 17 mars à midi.
Le confinement,
qui sera « probablement » prolongé au-delà du
15 avril, ne pourra être interrompu « que de façon
progressive », a prévenu,
jeudi 2 avril, le premier ministre, Edouard Philippe. Si les
modalités de sortie de cette situation exceptionnelle sont encore loin d’être
fixées en France, il est acquis que la menace du coronavirus SARS-CoV-2 planera
sur la durée, posant de nombreuses questions.
Que se passe-t-il si on lève le confinement d’un coup ?
Le
confinement a été décidé dans un contexte de propagation exponentielle
du virus. Mi-mars, on estime que chaque malade pouvait contaminer en moyenne
trois personnes.
En limitant
les contacts, on réduit le nombre de contaminations. Si le confinement est
efficace, on devrait donc observer dans le courant du mois d’avril une stabilisation,
puis une baisse du nombre de malades. On aura alors franchi le « pic
épidémique ».
Cette bonne
nouvelle augure pourtant de difficultés futures. Une sortie brutale et mal
préparée du confinement pourrait bien relancer l’épidémie. Une bonne partie des
confinés seront en effet contagieux – parfois même sans le savoir, car une
grande partie des porteurs du virus n’ont aucun symptôme. Si elles se mêlent au
reste de la population, ces personnes risquent d’en contaminer d’autres et,
ainsi, de relancer la diffusion du virus.
Sans
compter que le problème ne s’arrête pas aux frontières de la France. Même si le
virus disparaissait du territoire national, il risquerait d’être de nouveau
importé par des personnes en provenance de l’étranger. Il suffirait alors d’une
poignée de cas pour que l’épidémie reparte en flèche.
C’est ce que l’on appelle le risque de « deuxième
vague ».
Ce rebond
pourrait aussi bien survenir immédiatement après le déconfinement que longtemps
après. Dans l’hypothèse – pour
l’instant assez improbable – où le coronavirus refluerait cet été
en raison de la chaleur, il pourrait tout à fait refaire son apparition
l’hiver prochain, par exemple.
Alors quelles solutions pour éradiquer le virus ?
Si l’on
vise une disparition complète du SARS-CoV-2, il faut que la population soit
immunisée – c’est-à-dire que le système immunitaire des gens soit préparé à
résister à une nouvelle agression du virus. Or, seules les personnes qui ont
été en contact avec le virus – et qui ont survécu – ont produit les anticorps
nécessaires à cette protection.
Il existe en
théorie une seconde possibilité qui « force » les choses : la
vaccination. On introduit une forme inactive ou atténuée du virus dans
l’organisme du patient, pour stimuler ses défenses. Cela lui permet de
développer une immunité sans avoir été malade :
Le problème
est que nous n’avons pour l’instant pas de vaccin contre le SARS-CoV-2 –
et que malgré les efforts
des chercheurs, celui-ci n’arrivera probablement pas avant au
moins un an. On ne peut donc compter pour l’instant que sur la protection
naturelle des personnes déjà contaminées.
Heureusement,
il n’est pas nécessaire que l’ensemble de la population soit immunisé pour
éviter que le virus circule de manière épidémique. Selon les spécialistes, une
proportion de l’ordre de 60 % à 70 % de la
population pourrait suffire dans le cas du SARS-CoV-2.
C’est ce
qu’on appelle l’« immunité de groupe » : au-delà d’un
certain niveau de protection dans la population (variable
d’une maladie infectieuse à l’autre), la diffusion du
virus est efficacement freinée. C’est ainsi que de
nombreuses maladies ont (presque) disparu grâce à la
vaccination d’une grande partie de la population.
Se
contenter d’attendre que la population atteigne le seuil de l’immunité
collective est une option très risquée : cela supposerait qu’au
moins 40 millions de Français soient infectés, ce qui pourrait engendrer
des centaines de milliers de morts. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas,
initialement partisans de cette stratégie, s’en sont
d’ailleurs récemment détournés. Dans l’Union
européenne, seule la Suède mise encore
sur l’immunité collective pour traverser la crise sanitaire sans imposer de
confinement.
Autre
problème : il n’y a encore aucune certitude sur la durée de l’immunité
acquise par les personnes guéries du Covid-19. Se compte-t-elle plutôt en
semaines, en mois, en années ? Il est trop tôt pour le dire, d’autant
qu’il n’est pas impossible que la souche du SARS-CoV-2 mute et donc remette en
cause l’immunité des personnes ayant été infectées – de la même façon que la
grippe saisonnière évolue régulièrement.
Que faire si on ne peut pas éradiquer le virus ?
S’il n’est
pas possible de faire complètement disparaître le virus, il reste un
plan B : tenter d’en limiter la propagation et les conséquences.
·
Traiter les malades
La première
solution est évidemment de rechercher des traitements pour soigner les malades.
Cela aurait plusieurs intérêts :
1.
Réduire le nombre
de cas graves et mortels ;
2.
Limiter la durée
des hospitalisations, donc désengorger les hôpitaux ;
3.
Utiliser des
traitements « préventifs » pour réduire la charge virale dans
l’organisme des malades, donc leur contagiosité.
De grands
essais cliniques sont en cours pour tenter
d’identifier les meilleures stratégies médicales contre le virus : la fameuse
hydroxychloroquine, bien sûr, mais aussi d’autres traitements moins
connus, comme le remdesivir, du laboratoire Gilead, ou le Kaletra (lopinavir et
ritonavir), du laboratoire AbbVie. Les résultats ne seront toutefois pas connus
avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
·
Etaler l’épidémie
Si on part du principe qu’une grande partie de la
population va de toute façon être infectée et que certains développeront des
formes graves de la maladie, on peut au moins essayer d’étaler l’épidémie dans
le temps, pour éviter la surcharge des hôpitaux. Plus on « aplatit la
courbe », plus on soulage les services de réanimation.
Cette
stratégie, c’est celle du confinement généralisé actuellement choisie
par le gouvernement français et de nombreux autres pays du monde. Mais comme
elle ne pourra pas durer éternellement, plusieurs pistes sont envisageables
pour la suite.
·
Le
« stop-and-go »
Plutôt que
de prolonger le confinement pendant des mois, on pourrait alterner des
périodes de confinement et des périodes de retour à la « normale ».
Dans une telle logique, le confinement serait remis en place à chaque poussée
de l’épidémie, pour limiter la saturation des hôpitaux. Et ce, jusqu’à ce qu’on
ait trouvé un vaccin ou atteint l’« immunité de groupe ». C’est ce
que les experts appellent le « stop-and-go ».
Cette seule
stratégie présenterait cependant le risque de placer les populations face à une
longue série de périodes de confinement. Une étude
prépubliée le 24 mars par des chercheurs de Harvard estime ainsi qu’en
l’absence d’autres facteurs, des mesures de distanciation sociale pourraient
être nécessaires jusqu’en 2022 aux Etats-Unis.
·
Le confinement
localisé
Il
s’agirait de lever le confinement dans les régions qui ont passé le pic de
l’épidémie et dans lesquelles les hôpitaux ne sont plus saturés. A l’inverse,
le confinement sera maintenu dans les foyers actifs, où le risque de contagion
est plus fort. Si la situation s’améliore nettement dans les régions les plus fortement
touchées en premier, comme l’Ile-de-France
et le Grand-Est actuellement, celles-ci
pourraient alors figurer parmi les premières à sortir du confinement. Cette
piste semble être
envisagée par le gouvernement, qui travaille sur
« la faisabilité d’un déconfinement qui serait régionalisé »,
selon Edouard Philippe. L’académie nationale de médecine l’envisage également
dans un
communiqué publié dimanche 5 avril.
Reste à
savoir comment l’Etat pourrait contrôler les mouvements de population entre les
régions, qui n’ont bien évidemment pas de postes-frontières. Dans un tel
scénario, il semble probable que les transports ferroviaires et aériens
seraient maintenus à un niveau très faible, pour décourager les déplacements.
·
Le confinement
ciblé
L’idée
serait de diviser la population en deux. On maintiendrait en
confinement :
1.
Les malades, pour
éviter qu’ils ne transmettent le virus ;
2.
Les populations les
plus à risque en cas d’infection : personnes âgées et fragiles, patients
souffrant de problèmes respiratoires, femmes enceintes, etc.
On
« déconfinerait » :
1.
Les personnes
immunisées, qui ne sont plus contagieuses ;
2.
Les populations les
moins à risque, qui ont moins de chances de développer des formes sévères de la
maladie.
Ainsi, on
construirait progressivement une « immunité de groupe » en limitant
le nombre de morts.
Cette
stratégie, séduisante sur le papier, peut se révéler compliquée dans la
pratique.
Tout
d’abord, il ne faut pas sous-estimer les conséquences sociales et
psychologiques d’un confinement de la population à long terme et la difficulté
à le faire accepter. Mais surtout, le confinement ciblé n’est pas infaillible,
car il faut bien que des soignants s’occupent des personnes isolées. Ainsi,
malgré des précautions drastiques, le virus s’est largement répandu dans les Ehpad
français, avec au moins 2 189 morts selon le dernier décompte, diffusé
le 6 avril.
Ensuite,
plusieurs exemples ont malheureusement montré qu’être jeune et en bonne
santé ne garantit
pas d’être complètement protégé contre les formes
graves de la maladie.
Enfin, si
on lève le confinement pour des porteurs sains du virus qui, faute de
symptômes, ignorent qu’ils sont contagieux, ils risquent de contaminer le reste
de la population.
·
Le dépistage à
grande échelle avec traçage et isolement
C’est pour
cela que de nombreux pays envisagent une stratégie plus fine, sur le modèle
sud-coréen, qui repose sur trois piliers :
dépistage massif, isolement des personnes infectées et suivi de leurs contacts.
Un dépistage
à grande échelle de la population française permettrait d’identifier :
1.
Les porteurs actifs
du virus (qui devraient rester isolés, car contagieux)
2.
Les personnes non
infectées (potentiellement à risque)
3.
Les personnes immunisées
(qui pourraient sortir)
Reste à
savoir si la France a les moyens de conduire des millions de tests –
surtout qu’il faudra les réitérer à échéances régulières pour tester à nouveau
les non-porteurs. A ce jour, par manque de moyens, les autorités sanitaires ont
fait le choix de ne tester que les cas sévères. Il faudrait pourtant aussi le
faire avec les patients ayant peu ou pas de symptômes pour mesurer
l’« immunité de groupe ». Si le gouvernement ambitionne d’augmenter
sensiblement le nombre de tests dans les prochaines semaines, il n’est
pas certain que cela suffise.
Le deuxième
pilier consiste à mettre en place un suivi des personnes infectées.
L’idée est de remonter la chaîne des contacts récents du patient pour détecter
les personnes à qui il a pu transmettre le virus, afin de les dépister à leur
tour ou de les isoler par précaution.
Un tel
travail d’analyse des « clusters de contamination » a été
conduit au cas par cas par les autorités sanitaires au début de
l’épidémie, mais il est plus difficile à réaliser à grande échelle. C’est
pourquoi le gouvernement envisage de proposer un « traçage numérique »,
par le biais d’une application mobile. Mais plutôt que d’imposer un tel
système, comme l’ont fait Taïwan ou la Corée du Sud, il propose un suivi sur
la base du volontariat, afin de respecter la protection de la vie privée.
·
Le maintien des mesures
de « distanciation sociale »
Même si le
confinement est levé, partiellement ou complètement, il est envisageable que
les mesures de distanciation sociale soient maintenues, comme l’interdiction
des grands rassemblements, la fermeture des écoles ou des bars.
Il est
aussi possible d’imposer le port du masque dans l’espace public, comme l’ont
fait plusieurs pays d’Europe centrale.
Quoi qu’il
en soit, il sera déterminant de conserver le plus longtemps possible les
« gestes barrières » pour limiter les
risques de contamination et le retour à « la vie d’avant »
n’est pas pour tout de suite, comme a prévenu Edouard Philippe : « C’est
un combat long, difficile, qui impliquera de mauvaises nouvelles, des
déceptions. »
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