26 mars
2020 - Samir El Ouardighi
Depuis la propagation du coronavirus au Maroc,
nombreux sont ceux qui pensent que la crise actuelle aura le mérite de changer
totalement dans le futur, la gouvernance à laquelle était habitués le Marocain.
C’est notamment le cas de 9 intellectuels et personnalités interrogés par
Médias24.
Face au
confinement, l’heure est à l’introspection pour plusieurs intellectuels.
Sollicités par notre rédaction, certains insistent sur l'urgence actuelle de la
protection tandis que d’autres voient l’après-coronavirus.
1. Ali Benmakhlouf par exemple, met en avant la nécessité sanitaire de protection et de prudence tout en refusant de spéculer sur l'avenir du Maroc après cette
crise.
Ali Benmakhlouf : "Le confinement, une urgence vitale"
"Selon moi, la
rupture avec le passé est désormais une certitude car nous sommes dans une
situation d’urgence vitale. Ainsi, le plus important est d’avoir une
communication claire vers l’ensemble de la population pour l’adoption de
gestes-barrières et éviter la propagation du virus.
"Ces raisons
vitales imposent donc une rupture dans notre mode de vie et nos habitudes. Le
paradoxe est que les habitudes ont une forme d’inertie telle qu’on y renonce
difficilement mais l’urgence vitale impose un arrêt prompt de ces mêmes habitudes.
"Sachant que
rien n’attend dans une pandémie, c’est donc là-dessus qu’il faut absolument
communiquer. Il ne faut pas se limiter à des signaux ou à des alertes mais
passer tout de suite à l’alarme quand il en va de la vie de personnes",
recommande Benmakhlouf.
Questionné sur les
changements qu’induira cette crise, le penseur refuse de se prononcer sur
l’avenir.
"Il est
totalement prématuré de se projeter. Le plus important est de se mobiliser sur
l’urgence absolue car d’aucune manière, nous ne sommes là pour disserter sur
l’après.
"Je ne vous
dirai donc rien sur l’après coronavirus car pour moi, chaque heure qui passe
compte pour sauver des vies en empêchant les gens de sortir car leurs sorties
les menacent et menacent les autres.
"C’est autour
de ces menaces qu’il faut communiquer sinon on prend le risque de brouiller le
message par des discussions qui peuvent toujours attendre.
"En effet, je
pense que vos lecteurs doivent comprendre qu’ils ne doivent plus rencontrer
plus de quatre personnes par jour et qu’ils doivent observer une distance
physique de 2 mètres. C’est cela qu’il faut marteler car encore une fois,
il s’agit de la vie des gens, de danger de mort.
"Quand on est
dans l’urgence vitale, les intellectuels sont comme les autres, ils ne doivent
pas disserter mais faire prendre conscience d’une nécessité de vigilance et
prudence à l’égard des autres.
"Il est donc
essentiel de répéter encore et toujours qu’il faut reporter toutes les réunions
sauf cas de nécessité absolue. L’heure est grave et je refuse d’en dire
plus", nous a expliqué Benmakhlouf.
2. Nadia
Bernoussi : "Revenir aux choses simples de la
vie"
Tout aussi touchée,
l’éminente constitutionnaliste Nadia Bernoussi nous déclare que cette
crise du coronavirus lui inspire d’abord et surtout de la douleur et de la
compassion.
"C’est une
douleur pour toute la planète et j’ai une pensée émue pour les disparus qui se
comptent par milliers. J’ai vraiment l’impression de vivre un cauchemar ou un
très mauvais film et j’espère qu’on va finir par se réveiller et que tout
finira par revenir à la normale".
"Ceci dit, il
faut tirer des leçons et penser à un plan B, à savoir revenir aux choses
humaines comme la solidarité, lire et redevenir ami avec soi-même tout en
faisant des choses utiles pour les autres.
"Ainsi, à
titre personnel, le temps libre offert par le confinement va me permettre de
boucler un manuel de droit constitutionnel que me réclamaient mes
étudiants.
"De plus,
après les privations de cette crise, les gens réapprendront le goût de la vie.
"En effet, on
s’est rendu compte d’un formidable élan de solidarité mais aussi que les
autorités ont pris des bonnes mesures en jouant leur rôle.
"Sachant que
les gens respectent les consignes et que le conseil des oulémas a bien réagi
avec la fermeture des mosquées, ces signes montrent que le Maroc devrait sortir
grandi de cette crise avec plus de confiance dans leurs institutions et avec le
retour d’un lien social qui avait disparu", conclut Bernoussi.
3. Driss Ksikes : "Un avant et un après"
Après ce cri
d’alarme salutaire, l’intellectuel Driss Ksikes nous a déclaré qu’il y
aurait un avant et un après-coronavirus.
"En effet,
cette crise nous amène à mieux comprendre la très grande interdépendance qu’il
y a dans le monde, pas uniquement d'un point de vue environnemental ou
climatique, mais également dans les modes de vie qui se transforment.
"Selon moi,
c’est une donnée énorme qui résulte du productivisme effréné ainsi que d’une
dérive de la mondialisation qui s’appuie sur la religion de la croissance.
"Une crise
prévisible"
A ce propos,
plusieurs prix Nobel ont depuis 15 ans, tiré la sonnette d’alarme sur les
inégalités croissantes et les dérèglements occasionnés par cette tendance.
"Tous les
chercheurs qui travaillent sur les écosystèmes et sur la philosophie écologique
rappelaient que nous sommes en train de créer les raisons du désastre actuel de
notre civilisation.
"Tout cela
doit donc nous amener à comprendre que les nouvelles formes de solidarité, en
dehors des logiques étatiques et marchandes, sont vraiment fondamentales.
"Comme il
devient évident qu’il y a des services publics en lien avec l'humain (santé et
éducation) qu’il va falloir absolument sanctuariser.
"Même s’il y a
du privé qui y est associé, il faut de la régulation pour ne pas créer de
vulnérabilité et des déclassements dans notre société à cause de dépenses
remettant en cause la dignité des gens.
FMI, Reagan et
Thatcher
"On l’a dit et
redit mais aujourd’hui cette pandémie montre que c’est une évidence et qu’on ne
pourra plus fonctionner comme avant, car l’Etat se doit d’avoir un rôle
protecteur et providentiel.
"Malheureusement,
cette dimension a été abandonnée avec la culture de l’autorégulation et même de
la dérégulation.
"Ce phénomène
n’est d’ailleurs pas à mettre uniquement au passif du FMI mais aussi sur le
compte des politiques ultralibérales initiées par Reagan et de Thatcher et
devenues des paradigmes indépassables.
"Même les
alternatives proposées par des acteurs politiques critiques vis-à-vis de la mondialisation
n'ont jamais été suffisamment prises au sérieux. Il va falloir rebattre les
cartes à ce sujet.
"Cette
question, plus que d’actualité, s’avère être une nécessité mais pas seulement
car cette crise a aussi montré le besoin de circuits courts qui réduisent le
nombre d’intervenants qui renchérissent le coût de la vie et vivent sur un
système vertical basé sur une redistribution inéquitable.
"Aujourd’hui,
il convient donc de faire preuve de plus d’humilité et de solidarité",
explique Ksikes qui ne pense pas pour autant qu’il soit possible "de
décréter le retour de la gauche".
"Ce qui est
sûr, c'est que plusieurs questions que la gauche avait du mal à dire clairement
et à susciter de l'adhésion autour peuvent devenir avec cette crise plus
audibles et pourraient s’imposer.
"En dehors des
partis de gauche, il y a d’autres formes alternatives d’expression qui viennent
de la démocratie participative, plus que celle représentative. En effet,
toutes ces organisations qui sont dans l’action sociale, culturelle et
économique apportent des solutions dans la vie quotidienne des démunis et
proposent par l'action des voies tierces insuffisamment empruntées par le
mainstream.
"A partir de
là, il est très probable que les pratiques émergentes vont à l’avenir prendre
plus de poids dans l’esprit de nos concitoyens", conclut l’ancien
journaliste qui tient à préciser qu’il ne s’exprime pas en tant que membre de
la commission spéciale de développement.
4. Karim Tazi : "Un tournant historique"
Une vision partagée
par son collègue à la CSMD, l’industriel et acteur de la société civile
Karim Tazi qui évoque un tournant historique inédit et
quasi-révolutionnaire dont seule la nature a le secret.
"Je crois que
c’est Lénine qui a dit que la guerre était un accélérateur de l’histoire et
selon moi, la crise du coronavirus va accélérer l’histoire du Maroc.
"Sachant que
depuis 2 ans, il y a une prise de conscience qu’un certain nombre de choses ne
pouvaient plus durer, on s’est mis à la recherche d’un nouveau modèle de
développement.
Tout le monde va
adhérer au modèle de développement
"Avant le
coronavirus, ce constat n’était pas vraiment partagé par les Marocains mais
depuis l'apparition de l'épidémie, on s’est rendu compte, en observant ce qui
se partage sur les réseaux sociaux, que nos concitoyens se sont approprié la
notion de modèle alors qu’avant on avait l’impression que ça ne concernait
qu’une petite élite déconnectée des réalités.
"A partir de
là aujourd’hui, les gens pensent que c’est le coronavirus qui va redéfinir en
mieux le modèle et le futur du Maroc", déclare Tazi.
"D’ailleurs,
les commentaires les plus fréquents dans les discussions ou sur les réseaux
sociaux sont que si l’Etat avait travaillé pour l’intérêt public comme il le
fait depuis le début de la crise sanitaire, nous n’aurions pas eu besoin de
réfléchir à un nouveau modèle de développement.
"Les gens ont
l’impression que pendant très longtemps, l’Etat n’a pas toujours eu comme
principale préoccupation la protection des citoyens.
"Certes, il a
construit de grandes infrastructures et a maintenu l’ordre mais n’a pas
vraiment été mu par l’intérêt général comme il le fait depuis quelques
semaines.
Le Maroc a bien
géré la situation
"En effet, il
faut reconnaitre que l’Etat a plutôt bien géré la crise jusqu'à présent.
"Etant présent
en tant qu’industriel dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, j'ai pu
constater la lenteur et la faiblesse de la réponse de certains états alors
qu’au Maroc, les décisions de fermer les frontières et les écoles ont été
prises assez rapidement et que les mesures d'accompagnement de l'économie n'ont
pas tardé non plus.
"De plus, il
faut saluer la décision royale de créer un fonds consacré à la modernisation de
l’appareil de santé qui a été largement négligé pendant des décennies.
"Tout cela
montre un autre visage de l’Etat qui ressemble à celui qu’on aurait aimé voir
avant à savoir un Etat se souciant de sa population qu'il considérait plus
comme une contrainte.
Efficacité de la
gestion de crise, un choc pour les Marocains
"C'est un vrai
choc voire une révolution pour les Marocains de découvrir une administration
qui s'active pour les servir et les protéger.
"Ce changement
en dit long de la perception que les Marocains ont de leur Etat et des attentes
qu'ils ont envers cet Etat et c’est en cela qu’il y aura un avant et un
après coronavirus.
"Pour le
reste, le Maroc n’est qu’au début de cette crise qui va s’amplifier et
s’aggraver et où les conséquences économiques seront bien plus graves que
celles liées à la dimension sanitaire.
Nécessité d’une
réconciliation nationale
"Mon espoir
est que l’Etat se rendra compte qu’il ne pourra mobiliser et galvaniser sa
population qu’en allant vers une vraie réconciliation nationale car dans le
passé, il s’est fâché avec plusieurs segments de citoyens.
"Ainsi, en
2009 avec la création du PAM, il s’est mis à dos une partie de la classe
politique, en 2011, il s’est fâché avec la jeunesse urbaine qui a soutenu le
mouvement du 20 février, puis enfin après l’alternance de 2017, avec certaines
personnes qui soutenaient Benkirane.
"Sans oublier
qu’au fur et à mesure de ces dix dernières années, le ton s’est durci avec la
société civile et la liberté d’expression.
"Selon moi,
l’Etat depuis dix ans, s’est fâché avec trop de composantes de la société marocaine
et il gagnerait à ouvrir une nouvelle page en engageant un processus de
réconciliation nationale.
"Cela
permettrait de cimenter l'union nationale et créer les conditions favorables
pour le déploiement d'un nouveau modèle.
"Envoyer des
signaux forts, comme libérer les prisonniers du Rif ou certains journalistes et
militants, aiderait à galvaniser toutes les composantes de la société et à la
mobiliser pour réparer les dégâts que ce cataclysme risque d'occasionner.
"Nous avons
besoin d'un débat public libre et vigoureux pour construire un nouveau Maroc et
pour cela, nos concitoyens ne doivent pas avoir peur de s'exprimer. C’est
le moment d’effacer le passif et les erreurs qui ont conduit à la perte de
confiance de la population envers les institutions.
"Après la
crise du coronavirus, le grand défi sera donc de reconstruire un ordre plus
juste", conclut Tazi qui parle avec sa casquette d’industriel, d’homme
politique et d’associatif et pas avec celle de membre de la commission spéciale
sur le modèle de développement.
5. Mohamed Sghir
Janjar : "Une hécatombe invisible"
De son côté, le
sociologue Mohamed Janjar nous a déclaré qu’il est difficile de s’exprimer
à chaud sans recul sur une crise inédite dans la période contemporaine que vit
le Maroc.
"Quand on vit
la chose dans le présent, on ne réalise pas tout à fait son impact voire sa
réalité. C’est pour cela que je comprends mieux mes lectures sur la peste et
les grandes épidémies qu’a connues le Maroc du Moyen-âge au 18ème
siècle.
"A leur lecture,
on réalise mieux ; mais pour ma génération, cette pandémie est une véritable
première même si dans le même temps on ne la voit pas. Ce n’est pas ce que
décrit Ibn Khaldoun au 14ème siècle où il y avait des milliers de
cadavres dans la rue et la moitié de la population décimée.
« Tout cela
n’existe plus car il y a désormais une gestion moderne des épidémies. En même
temps avec l’effet de la mondialisation, nous suivons la contagion qui a
commencé en Chine avant de s’étendre à l’Europe puis à notre pays et cela
change notre perception de la géographie et du temps.
L’occasion de
ralentir l’agitation moderne
"C’est
également un moment où on revient à soi avec le confinement qui nous permet de
repenser à tout ça et à voir qu’on a peut-être été trop agité durant les
dernières décennies et années.
"En fait, nous
n’avions pas réalisé que cette agitation moderne pouvait nous faire passer à
côté de l’essentiel et je crois que ce sentiment est de plus en plus partagé
par la population mondiale.
"Pour moi,
c’est donc le moment de reprendre goût à la lecture et à la réflexion car
toutes les bibliothèques sont fermées et tout le monde est confiné à domicile.
"Pour
l’humanité et pour les Marocains, c’est peut-être un mal pour un bien. En
effet, malgré le triomphe de la démocratie, les gens réalisent que la
mondialisation n’est pas aussi paradisiaque qu’elle y parait. Il y a des
fondamentaux dans la vie des sociétés qu’il faut repenser aujourd’hui.
"Un peu
plus de lenteur, d’humanité et de solidarité sont donc plus que nécessaires
car la frénésie numérique, la mobilité et l’ouverture sur la mondialisation ne
sont plus la panacée.
"Tout comme de
nombreuses personnes, je pense qu’il y aura un après-coronavirus qui sera
complètement différent de ce qu’on a vécu auparavant ou jusqu’à aujourd’hui. Il
y a de fortes chances pour que la conscience universelle soit profondément
impactée à l’avenir", conclut le sociologue en espérant que la dynamique
de changement à venir s’inscrira dans la durée.
6. Mohamed
Tozy : Effondrement des doctrines économiques et politiques
Même son de cloche
chez son confrère sociologue Mohamed Tozy qui pense que le monde va
changer.
« S’il est sûr
qu’il y aura un après-coronavirus, la situation actuelle de confinement nous
amène à réfléchir.
« Le fait est
que beaucoup d’évidences sont en train de tomber mais on constate surtout que l’homme
est devenu un peu insupportable pour la terre qui l’héberge. Le virus ne
fait qu’exprimer et conforter cette idée de ras-le-bol.
« Maintenant
sur le plan des doctrines politiques, il y a un retour à des concepts plus
simples à savoir que l’Etat doit être au centre de la gouvernementalité car l’option
de moins d’Etat n’est plus valable.
« On voit bien
qu’en cas de crise, l’Etat doit être au rendez-vous sachant que plusieurs Etats
développés sont en train de payer chèrement le démantèlement de leurs services
publics.
« Idem au
niveau économique où on a vu que même les dogmes les plus rigides (équilibres
macro-économiques, peu d’inflation ..) appartiennent désormais au passé.
Aujourd’hui, ce sont les planches à billets à plein régime dans les pays les
plus puissants de la planète naguère opposés à cette option.
« Pour s’en
convaincre, il n’y a qu’à voir la BCE (banque
centrale européenne) qui vient d’annoncer 700 milliards d’euros d’aides en
contradiction totale avec l’idée que le marché pouvait s’autoréguler.
L’Etat seul
habilité à gérer ce genre de crise
« On voit
aussi que ce sont les sentiments primaires (confiance, défiance et peur)
qui font fonctionner l’humain et que celui qui fait la balance entre cette
animalité primaire qui est en nous et le collectif n’est autre que l’Etat ou
une puissance publique qui pense à l’intérêt général dans le cadre d’une
solidarité collective.
« Selon moi,
plus que des valeurs de gauche, il y a un retour de l’humanisme, des valeurs de
partage et de solidarité. Cela doit nous inviter à revenir à la frugalité, l’austérité
et la rusticité et en fait penser à l’essentiel qui est la vie tout
simplement », conclut Tozi.
7. Driss
Khrouz : "Un mal pour un bien ?"
Questionné à son
tour, l’éminent intellectuel Driss Khrouz affirme que le Maroc traverse
une crise sans précédent dans son histoire qui permettra peut-être de changer
son cours en mieux.
"Ce qui est
positif est que cette crise est prise très au sérieux chez nous car les mesures
qui ont été prises sont à mon sens adaptées à la gravité de la situation.
"Au niveau
individuel et au niveau de l’organisation des collectivités locales et des
grands centres urbains, la situation nous appelle à revoir notre relation avec
le civisme, le vivre ensemble et l’espace public. En effet, ce n’est plus un
luxe de faire attention à soi et aux autres en évitant de sortir.
"Ce moment
doit s’accompagner de réflexions sociologiques et anthropologiques mais de la
relation avec l’intimité de soi, pour voir comment les citoyens habitués à
sortir et à ne pas s’enfermer sauf devant un écran ou pour un dîner vont
s’habituer à rester face à soi surtout dans des espaces limités.
"En effet,
sortir est désormais dangereux pour soi et pour les autres. C’est aussi un
moment où les individus sont appelés à devenir inventifs en particulier les personnes
seules et sans moyens.
Nécessité d’aider
les plus démunis dont la survie dépend de leur sortie
"Que feront
ces populations qui vivent au jour le jour dans la précarité et dont le revenu
journalier (et pas mensuel) dépendra de la sortie pour pouvoir rentrer la nuit
manger le produit de la journée ?
"Ce problème
qui ne se pose pas en termes de charité mais de politique doit être abordé de
manière à reconstruire le lien social.
"Sachant que
c’est le lien social qui fait une société et que la population va bientôt
devoir se confiner, qu’adviendra-t-il de ceux qui sont seuls et vivent dans le
périmètre suburbain ou rural ?
"Au moment où
le confinement est décrété, il y aura un effondrement des revenus non
structurés des personnes non-inscrites à la CNSS et qui n’ont pas d’adresse
bancaire", s’inquiète l’économiste de gauche.
La solidarité et
l’Etat-providence en question
A la question de
savoir si la crise actuelle n’était pas une aubaine pour un grand come-back des
partis de la gauche ou au moins de ses valeurs, Khrouz préfère parler de
solidarité de l’Etat.
"Il doit y
avoir un retour en force des filets de sécurité pour lutter contre les
inégalités et instaurer une justice sociale qui permettra de renforcer le lien
social.
"A quelque
chose malheur est bon car cette crise va permettre de repenser totalement
certains services publics comme l’école publique et le système de santé plus
que défaillants.
"Le rôle de
l’Etat n’est pas de faire uniquement des lois et d’assurer la sécurité mais
aussi de garantir le lien social pour que personne ne se sente plus exclu par
la précarité et par des mécanismes non institutionnels comme la corruption ou
l’économie de rente.
"Il est donc
grand temps de repenser les services publics pour que l’ascenseur social puisse
re-fonctionner.
"Les valeurs
de gauche, ce n’est pas chacun pour soi mais c’est une question d’émergence. En
sciences physiques, l’émergence c’est plus que la somme des parties à savoir
que 5+5 doit être supérieur à 10", explique l’économiste qui appelle au retour
de l’Etat-providence.
"L’Etat-providence
est absolument à l’ordre du jour mais dans le sens d’un Etat qui orchestre et
régule avec les autres acteurs sociaux, que ce soit une petite commune ou
petite association", réclame d’urgence Khrouz qui espère que cette crise
servira au moins à rabattre les cartes sociales.
8. Ali
Bouabid : "Rendre hommage à ceux en première ligne"
Tout comme ses
pairs intellectuels, Ali Bouabid, délégué général de la fondation Abderrahim
Bouabid, nous a livré son sentiment et son analyse de la crise actuelle du
coronavirus.
"En premier
lieu, dans cette guerre qui s’annonce car il n’y a pas d’autre mots, Il nous
faut saluer les soldats qui au front sont exposés en première ligne ; je pense
bien sûr et d’abord aux personnels de santé, aux forces de l’ordre, aux
éboueurs …;
"Toute la
nation à l’unisson leur doit reconnaissance et devra s’en souvenir le moment
venu…
"Deuxio, quand
le temps des interrogations viendra avec les remises en cause radicales que
cette crise inédite suggère ; …nous aurons alors sans doute à mesurer ce que la
notion de changement de paradigme, à laquelle nous oblige cette crise, signifie
au plus profond …
Gérer l’urgence des
plus démunis
"Pour l’heure
et dans la séquence actuelle c’est le temps de l’urgence que nous devons gérer
…. Il nous faudra des trésors de sang froid pour franchir, avec un minimum de
pertes, cette épreuve qui s’annonce redoutable … car il faut se rendre à
l’évidence que nous demeurons encore inégaux dans l’exposition face à la
menace, et inégaux dans le confinement …
"En dernier
lieu, il y a un vrai dilemme du confinement. Plaider pour le confinement
consiste à préférer la sécurité à la liberté, c’est la voie de la raison, pour
prévenir une catastrophe humanitaire aux conséquences incalculables…
"Mais on voit
bien en même temps, que sauf à être dans le déni, derrière les mots de sécurité
et de liberté nous ne logeons pas la même chose selon que l’on soit ou non à
l’abri du besoin, et que nos espaces de vie sont incomparables.
"Si l’enjeu
est bien vital dans les deux situations, il l’est donc de manière très
différente. La sécurité est d’abord alimentaire pour celles et ceux qui, au
jour le jour, doivent trouver de quoi subvenir à l’essentiel, quand pour
d’autres elle est avant tout préventive.
"La voie de la
raison bute donc contre le réel d’une inégalité face à la perspective du
confinement qui ne peut être évacuée, et qui doit être traitée, sauf à ajouter
à la crise le chaos. Le dilemme et extraordinairement complexe à trancher. Mais
il nous faut y répondre et très vite", conclut Bouabid.
9. Abdelwahab
Rafiki, alias Abou Haffs "Le Maroc sera complètement transformé"
Pour l’ancien
salafiste Abdelwahab Rafiki, alias Abou Haffs, la peur des nombreux morts
que va entrainer cette crise sanitaire ne doit pas nous empêcher de revenir à
l’essentiel.
"Cette
pandémie est effrayante car tout le monde craint pour la vie de ses proches.
Cette crainte doit nous pousser à redoubler de précautions en restant enfermés
à la maison. Selon moi, il faut faire preuve de responsabilité et ne pas
banaliser l’épreuve que nous sommes en train de traverser.
"Ceci dit,
elle nous a permis de développer une solidarité extraordinaire au Maroc et il
faut saluer le travail des autorités qui a été plus qu’exemplaire et qui a
changé la perception des citoyens.
"A terme, je
pense que nous allons surmonter cette crise. Alors certes, il y aura des morts
mais la bonne nouvelle est qu’elle va permettre de transformer toute notre
société en la rendant plus responsable", conclut Rafiki.
Nota : Par les
temps qui courent, l’auteur de cet article ne tenant pas à être taxé de macho
tient expressément à préciser qu’hormis l’éminente Nadia Bernoussi, aucune de
ses interlocutrices habituelles qu’il a tenté de contacter n’était disponible
ou joignable au moment de sa rédaction.
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