vendredi 8 mai 2020

01.05 - La faim plus dangereuse que le coronavirus ?

01.05.2020 - Caroline Broué avec Roxanne Poulain[1]

 (Introduction générale supprimée)

Selon une projection du programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU dévoilée mardi 21 avril,
le nombre de personnes au bord de la famine dans le monde risque de doubler en 2020 à cause de la pandémie de coronavirus. De 135 millions, ce nombre pourrait atteindre 265 millions à la fin de l’année. Déjà, des émeutes de la faim éclatent. Comment comprendre qu’il y ait encore des risques de famines en 2020 ?

·     Pourquoi la faim ?

Pour répondre à cette question, nous avons contacté l’ingénieur et consultant spécialisé dans les questions agricoles et alimentaires Bruno Parmentier, incontournable sur ces sujets auxquels il a consacré de nombreux ouvrages.

L’auteur de Faim zéro. En finir avec la faim dans le monde (éditions la découverte) est plutôt rassurant sur le fait qu’il y a suffisamment de nourriture sur terre. Mais « une chose est de produire de la nourriture, une autre de garantir que chaque famille a de quoi manger trois fois par jour ». 

Pour comprendre le phénomène de la faim, il faut savoir déjà que c’est 

« Un phénomène d'une remarquable constante sur terre, puisqu’en un siècle, le nombre de personnes qui ont faim n’a pas varié, il est resté autour de 800 millions ». Ce qui a changé, nous a-t-il expliqué, c’est que le phénomène s’est déplacé. « Il y a un siècle, on avait encore faim en Europe. En 1950, on avait faim en Chine. Maintenant les gens qui ont faim sont regroupés dans deux régions du monde : la péninsule indo-pakistanaise et l'Afrique sub-saharienne. »  Bruno Parmentier

Par ailleurs, des trois céréales à la base de l’alimentation mondiale, le blé, le maïs et le riz, « très peu de pays sont capables d’en produire plus qu’ils n’en mangent, ce qui rend le marché mondial très limité. » Les principaux producteurs de blé sont la Russie, l’Ukraine, le Kazakhstan, la France, l’Allemagne, les Etats Unis, le Canada et l'Australie.  Pour le maïs, c’est les États-Unis, le Brésil et l'Argentine. Enfin, le Pakistan, le Vietnam, la Thaïlande sont les principaux producteurs de riz.

Par crainte des pénuries, l'Egypte et l'Algérie ont essayé de commander plus de blé que d'habitude. Le marché s'est donc tendu. Surtout que des pays comme la Russie ont décidé d’arrêter leurs exportations. Pourquoi ? 

« Pour des raisons politiques, explique Bruno Parmentier. Poutine veut montrer qu'il a le pouvoir, et en bon démagogue, qu'il nourrit son peuple avant les autres. Et comme le prix du pétrole et du gaz est en chute libre, c'est intéressant si on peut doubler le prix du blé. » 

C’est pourquoi, après la déstabilisation des chaînes d'approvisionnement, la fermeture des frontières et l'effondrement du commerce mondial, la sécurité alimentaire dans nombre de pays s’est trouvée menacée.  Avec l'épidémie, les problèmes d'approvisionnement touchent par exemple de plein fouet les pays d'Afrique. Or, presque tous les pays africains subsahariens sont dépendants de leurs importations alimentaires

Jusqu’à présent, indique l’ONG Oxfam qui a aussi rendu public un rapport (joint en annexe) la semaine dernière, « Les conflits étaient toujours le principal moteur des crises alimentaires, mais les conditions climatiques extrêmes et les chocs économiques sont devenus de plus en plus importants ». Rien qu’à l’ouest, 50 millions de personnes pourraient être menacées par la faim dans quelques mois, du fait de la pandémie associée à la sécheresse et à l’instabilité de certaines zones (les trois combinés provoquant une hausse des prix et une baisse des denrées disponibles). C’est presque trois fois plus qu’aujourd’hui. 

·     Aujourd'hui

Mais si l’Afrique est le principal continent concerné, il n’est pas le seul. Et ce qu’on commence à entendre, de la Colombie au Panama en passant par le Liban, c’est que les gens ont plus peur de mourir de faim que du coronavirus. Des scènes parfois violentes éclatent. Un homme a été tué par balles dans le sud du Venezuela lors d’une manifestation de protestation contre la hausse des prix des produits alimentaires. Des supermarchés sont pillés, des commerces vandalisés. Les gens crient qu’ils n’ont plus rien à manger à cause du confinement et de la crise du coronavirus.

« Pour une bonne partie, dit Bruno Parmentier, ce blé, ce riz étranger, nourrit 1 milliard 400 millions des habitants des bidonvilles, où règne l'économie informelle. S’ils ne peuvent plus sortir tous les jours pour gagner un peu de sous, tout se bloque. Ils n'ont pas de réserves, pas de compte en banque, pas d’État qui paye le salaire que l'entreprise ne peut pas verser. Si en plus les camions ne rentrent plus dans les bidonvilles, la situation peut se dégrader très vite. »

Surtout qu’on n’a pas attendu le printemps tunisien de 2011 pour savoir que le prix du blé peut déclencher des émeutes

« Depuis la Révolution française on sait donc que, lorsqu'on ne mange pas dans les banlieues de capitales, il peut y avoir des révolutions. Le réveil d'un volcan en Islande en 1787 a rendu les récoltes suivantes très mauvaises en Europe. Le prix du blé à Paris en 1789 était donc deux fois plus élevé que le prix normal. Quand les révolutionnaires sont allés chercher le roi à Versailles, ne disaient-ils pas qu’ils allaient chercher “Le boulanger, la boulangère et le petit mitron” ? » Bruno Parmentier

·     France

C’est là qu’il convient de regarder du côté de la France. Car en même temps que sortaient les rapports du PAM et de Oxfam, on apprenait que dans certains quartiers, la faim menace. C’est vrai à Mayotte, ça l’est aussi en Seine Saint-Denis. Le Canard enchaîné a rapporté la semaine dernière un mail envoyé par Georges-François Leclerc, préfet de Seine-Saint-Denis, à son homologue Michel Cadot, préfet de la région Île-de-France. Ce mail disait : « Je redoute des émeutes de la faim. Nous comptons entre 15.000 et 20.000 personnes qui, entre les bidonvilles, les hébergements d’urgence et les foyers de travailleurs migrants vont avoir du mal à se nourrir ».

Des propos confirmés par la députée de la FI Clémentine Autain, sur France 2 le 21 avril. Invitée sur France 2, elle a rapporté que les « queues pour aller chercher des paniers alimentaires ne cessent de grandir », que les familles sont souvent obligées d'acheter davantage de produits alors que les cantines scolaires ont fermé fin mars, en même temps que les écoles. « Vous avez des populations qui aujourd'hui ont faim », a-t-elle déclaré.

"Dans mon frigo, il y a de l'eau, du jus d'orange et deux yaourts", a ainsi témoigné Viviane, habitante de Stains, sur France bleu

Mais comparaison n’est pas raison, nous a rappelé Bruno Parmentier

« A l'échelle mondiale, il y a un enfant qui meurt de faim toutes les dix secondes. Cela ne se produit pas en France, grâce à la Sécurité sociale, aux allocations chômages, et en dernier recours, aux soupes populaires. » 

Comparaison n’est pas raison, mais cinq millions de Français sont allés au moins une fois dans des structures comme les Restos du cœur en 2018, ce qui n’est pas rien. Et Selon Antonio Rodriguez, le responsable des Restos du cœur dans le département, « le nombre de personnes accueillies dans les différents centres de distribution du département a augmenté de 20% en moyenne depuis le début du confinement ».

En outre, les structures d'aide alimentaire rencontrent, de leur côté, des difficultés d'approvisionnement inédites. 

« Le système, pour une bonne part, repose sur le recyclage du gâchis issu de la grande distribution et des restaurants, indique Bruno Parmentier. C'est donc difficile de s'approvisionner alors qu’il y a plus de bouches à nourrir. »

Que tirer de ces considérations, tant sur le plan mondial que français ?

En ce qui concerne le monde, les prévisions de récoltes de 2020 s'annoncent plutôt bonnes, donc
« normalement, si personne ne perd son sang-froid, il y aura de quoi nourrir l'humanité », promet notre interlocuteur, résolument optimiste.

Pour ce qui concerne la France, à côté des associations qui multiplient les actions, le gouvernement
a annoncé qu’il débloquait 39 millions d'euros supplémentaires pour l'aide alimentaire aux plus modestes, et qu’il versera le 15 mai une « aide d'urgence » de 150 euros par famille bénéficiaire du RSA. 

Nous voilà (à moitié) rassuré(e)s. 

Pour aller plus loin : Le blog de Bruno Parmentier 

 

Rapport Oxfam du 17.04.2020[2]

Coronavirus : derrière la crise sanitaire, la crise alimentaire guette

La crise sanitaire que nous traversons accentue un paradoxe : tandis que les producteurs et productrices peinent à écouler certaines denrées, une partie de la population mondiale n’a plus les revenus suffisants pour subvenir correctement à ses besoins essentiels. Ou quand le coronavirus fait planer la menace d’une crise alimentaire. Une double peine pour les paysans et paysannes qui, déjà marginalisé.e.s, vont se retrouver dans une situation encore plus précaire et s’exposent, dans certains pays, à la faim.

L’agriculture occupe une place centrale dans nos sociétés. Elle fait travailler plus d’un milliard de personnes dans le monde, représente la principale source de revenu pour 80% de la population pauvre, et nourrit toute la planète.

Une crise alimentaire engendrée par le coronavirus ? A titre d’exemple, en Afrique sub-saharienne,
la FAO (organisation des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation) estime que 27 pays sur 44 sont à « haut risque». Les populations y dépensent une grande partie de leur revenu à se nourrir, or une majorité de leur alimentation est importée. Tous ces signaux nous questionnent sur la viabilité de notre système alimentaire, mis en difficulté par des chaînes d’approvisionnement complexes et mondialisées, une concentration des marchés entre les mains de quelques-uns, une décentralisation de la main d’œuvre…

En France, le confinement lié au virus Covid-19 (coronavirus) n’aura pas tardé à avoir des incidences sur les systèmes agricoles et alimentaires : liste limitée de commerces ouverts, images d’étals vides avec pénuries localisées de certains produits, manque de main d’œuvre agricole, bien souvent étrangère, fermeture des marchés paysans de plein air… la liste est longue.

·      Coronavirus : un ébranlement des systèmes agricoles et alimentaires

-      Une situation alimentaire globale sous tension

En pleine crise sanitaire du coronavrius, la FAO, l’OMS et l’OMC ont alerté dès le mois d’avril sur
les risques de pénuries alimentaires, exhortant les Etats à ne pas mettre en place de mesures restrictives au commerce international.

Un fragile équilibre des approvisionnements et des prix

Depuis la crise des prix alimentaire de 2007-2008, certains pays – souvent les plus pauvres – sont importateurs nets de denrées alimentaires c’est à dire dépendent des importations pour garantir la sécurité alimentaire de leurs populations. Les mesures de restrictions à l’exportation prises par certains Etats en pleine crise sanitaire du covid-19 vont donc pénaliser les Etats les plus fragiles. Jusqu’à présent, seul le Vietnam a stoppé ses exportations de riz, mais fait craindre un effet de mimétisme.

Dans certains pays, ce sont les comportements d’achats liés à la panique qui ont provoqué des pénuries alimentaires, localisées. D’autres pays ont mis en place des plafonnements des prix des denrées alimentaires suite à la spéculation (comme par exemple au Rwanda, au Pérou, en Argentine, ou encore en Colombie). Il s’agit cependant de phénomènes localisés qui ne reflètent pas une tendance globale de hausse des prix des denrées alimentaires.

En d’autres termes, la disponibilité des aliments n’est pas remise en cause même si la vue des étals vides de supermarchés peut paraître impressionnante.

La menace qu’une paupérisation fait peser sur la faim

La crise qui se prépare est d’une tout autre dimension, plus insidieuse : celle d’une accentuation des inégalités et d’une paupérisation des producteurs et productrices, avec des conséquences à long terme très préoccupantes sur leur accès à l’alimentation.

En effet, à la différence de la crise de 2007-2008, on ne parle aujourd’hui pas de dysfonctionnement en matière de productivité. Il y a une production suffisante, notamment de grains. Les prix sont assez stables et au contraire sont tendanciellement en baisse. Le risque repose plutôt sur une perturbation des chaînes d’approvisionnement – de la production à la distribution – avec une perte de revenus conséquente pour les acteurs de ces filières.

·     Les paysans et les paysannes en première ligne de cette crise alimentaire

Les défis sont immenses pour les agriculteurs et agricultrices du monde entier. Les mesures de confinement prises par les différents pays sont bien sûr nécessaires pour endiguer le virus, mais ont des impacts très lourds sur leur activité et donc sur leurs propres moyens d’existence.

En France et dans toute l’Europe, la crise sanitaire a des effets immédiats sur les agriculteurs et les agricultrices : défaut de main d’œuvre à cause des mesures de confinement, diminution de débouchés avec la fermeture des cantines et des restaurants, limitation des exportations et donc de la production (pour la filière laitière notamment). Les conséquences sont donc nombreuses, mais l’approvisionnement reste stable et des solutions économiques se mettent en place progressivement.

Mais dans d’autres régions du monde, où les paysans et paysannes sont déjà marginalisés, isolés géographiquement des marchés, sans couverture sociale, avec un accès aux soins réduit, la situation qui se profile est dramatique.

-      Une double peine pour les producteurs familiaux

La Banque Mondiale estime dans un rapport publié le 8 avril que la combinaison d’une crise sanitaire, économique et alimentaire pourrait affecter directement la production agricole de l’Afrique. Celle-ci pourrait se contracter entre 2,6 et 7% en 2020. En d’autres termes, les capacités de production et de vente seraient plus vite atteintes.

Dans de nombreuses régions du monde, en l’absence de main d’œuvre pour effectuer les travaux des champs, de transports pour les acheminer vers des unités de transformation ou de débouchés (marchés, restaurants etc.), les récoltes sont laissées dans les champs à pourrir. Les aliments dédiés au bétail ne sont plus acheminés. Pour les plus petits producteurs c’est une double peine : déjà marginalisés dans l’accès aux marchés, et avec peu de ressources pour acheter de quoi améliorer leurs rendements, ils pourraient être forcés de vendre leurs actifs (bétail, matériel) pour pouvoir subvenir à leurs propres besoins et ceux de leur famille.

-      Une fragilisation des plus vulnérables, consommateurs comme producteurs

Dans le cadre d’une récession économique globale liée à la crise sanitaire du coronavirus, tout le monde est perdant, que l’on soit consommateur ou producteur. L’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) estime que chaque pourcentage de récession mondiale plongera 14 millions de personnes en plus dans la pauvreté, dont 9 millions sont des personnes vivant en milieu rural.

La Banque Mondiale prévoit que « la croissance économique en Afrique subsaharienne passera de 2,4% en 2019 à une fourchette entre -2,1 % et -5,1 % en 2020, ce qui constituera la première récession dans la région depuis 25 ans ».

·     Au Sud, les inégalités exacerbées dans les chaînes d’approvisionnement alimentaires

Le droit à l’alimentation est un droit essentiel, qui doit s’adosser à des filières agricoles et alimentaires solides et fiables. Le droit à l’alimentation doit être garanti, tout autant que doivent être garantis la protection des travailleurs des chaînes d’approvisionnement alimentaire (de la production à la distribution) face aux virus, mais aussi face aux conséquences économiques.

Dans ce contexte, les travailleurs des filières agricoles et alimentaires mettent quotidiennement en danger leur santé, alors même qu’ils sont déjà particulièrement exposés à la précarité.

Oxfam a montré en 2018 dans son rapport Derrière le Code Barre que les salaires de misère, la violation des droits de travailleurs et les discriminations de genre sont aujourd’hui la norme dans les chaînes de production de thé et de fruits et légumes qui approvisionnent certains des plus grands supermarchés du monde. Or cette crise sanitaire ne fait qu’aggraver leurs conditions de vie et de travail.

-      Peu de protection pour les pays du Sud où prévaut une économie informelle

De nombreux garde-fous existent en Europe, mais dans les pays du Sud où une grande partie de la chaîne d’approvisionnement alimentaire repose souvent sur une économie informelle, les conséquences sont bien plus lourdes pour les producteurs, travailleurs, vendeurs. Ceux-ci ne bénéficient d’aucune mesure de protection sociale.

Mamata Dash, qui travaille pour Oxfam en Inde, a recueilli les propos d’un petit vendeur d’oranges sur un marché, contraint d’arrêter son activité du fait des mesures de confinement :

« Personne ne parle de nous car nous sommes pauvres et cela n’intéresse personne de savoir si on va vivre ou mourir. Oui les gens viennent tous en urgence acheter des produits pour remplir leur cuisine, mais ils ne se rangent pas pour autant de notre côté dans ces temps difficiles ».

Mamata rapporte également ses rencontres avec les commerçants du marché :

« Travailler de la maison n’est pas une option pour les commerçants du marché, les chauffeurs de taxi, les travailleurs domestiques et tous les travailleurs informels. Sans les marchés, comment les petits producteurs pourront vendre leurs produits, ce qui leur permet de survivre ? »

Une fracture sociale est donc en train de s’accentuer pour les petits acteurs des chaînes d’approvisionnement alimentaires, ces « travailleurs invisibles ». Alors que ces acteurs fournissent les grandes et moyennes surfaces partout dans le monde, lieux de distributions privilégiés en temps de confinement, ils n’ont pas les moyens de s’y approvisionner car les prix sont trop élevés et leurs revenus non garantis. Alors même qu’ils et elles contribuent à nourrir la planète, la faim les menace.

·     “Nous allons d’abord mourir de faim” : la crise alimentaire menace les plus pauvres

-      Les populations les plus vulnérables risquent de souffrir de la faim

« Nous allons mourir de faim ». Ce cri d’alarme résonne dans de nombreux pays comme au Zimbabwe mais aussi au Soudan du Sud, déjà en situation de crise alimentaire.

Dans certains pays, si la production de nourriture est plutôt stable au niveau global et que les estimations des récoltes de l’année sont bonnes, les mesures de confinement perturbent l’équilibre de vie des plus précaires.
On estime que
500 millions de personnes risquent de sombrer dans la pauvreté des effets de la crise sanitaire du COVID-19, en perdant leurs sources de revenus et donc en compromettant leurs moyens d’existence.

Par ailleurs, certaines régions d’Afriques constituent aujourd’hui des points de tension critique, notamment les pays de la Corne de l’Afrique, tel que l’Ethiopie. En effet, depuis plusieurs semaines, une invasion ravageuse de criquets pèlerins ont détruits les récoltes.

-      Récession économique et faim sont étroitement liées

Dans le rapport qui révèle les chiffres de la faim en 2019, publié tous les ans par les Nations-Unies, le lien entre récession économique et faim est clairement établi : 84% des pays ayant connu un accroissement de la sous-alimentation de 2011 à 2017 ont, dans le même temps, souffert d’un ralentissement ou d’un fléchissement de leur économie – et il s’agissait en majorité de pays à revenu intermédiaire.

La FAO, dans un rapport publié le 9 avril 2020, alerte : dans l’hypothèse d’une récession économique importante, pour les pays à faibles revenus, la crise alimentaire ne sera pas liée à une hausse des prix alimentaires. Elle sera le fait d’un manque de revenus empêchant directement une partie de la population d’accéder à l’alimentation.

Pour les 821 millions de personnes qui souffrent déjà chroniquement de la faim dans le monde, et les 113 millions de personnes qui sont en situation de faim extrême dans 53 pays, les effets collatéraux du coronavirus pourraient être particulièrement mortels, soulignent les Nations Unies. En Afrique de l’Ouest, on estime que d’ici le mois de juin ou d’août, quelque 17 millions de personnes risquent d’être en situation de crise ou pire. Parmi elles, 1,2 million de personnes seraient en situation d’urgence. L’impact du coronavirus pourrait entraîner, au-delà de la mortalité due au virus, une mortalité additionnelle liée aux conséquences de la faim.Le constat dressé est sans appel : il risque d’y avoir des personnes qui meurent de faim avant de mourir du virus.

-      Les enfants, au cœur de l’attention

Pour certains enfants dans le monde, les programmes d’alimentation scolaires sont le seul repas complet qu’ils reçoivent dans la journée. La fermeture des écoles et la perte de revenus de leurs parents va les exposer à la faim.

Le panel international des experts des systèmes alimentaires durables (IPES-Food) précise l’impact du confinement sur ces ménages : « en Amérique Latine et dans les Caraïbes, plus de 10 millions d’enfants dépendent des programmes d’alimentation scolaire comme principale source de nourriture dans leur journée et donc sont à haut risque d’insécurité alimentaire avec la fermeture des écoles »

·     Les femmes, victimes négligées des crises alimentaires

Les femmes subissent souvent directement les conséquences des crises alimentaires. En 2019, Oxfam a montré dans son rapport “Inégalités de genre et insécurité alimentaire: les femmes en première ligne” que les crises alimentaires renforcent les inégalités de genre et marginalisent d’autant plus les femmes, surtout lorsque les réponses politiques ne sont pas appropriées.

Quelques explications :

-      Les femmes vivant en milieu rural, qui représentent en moyenne près de la moitié de la main-d’œuvre agricole dans les pays en développement, sont particulièrement exposées au risque de famine, surtout en période de crise. Elles sont déjà sujettes à de grandes inégalités dans l’accès aux ressources (terres, intrants etc), et ont un pouvoir de négociation limité, dans la société et dans leurs foyers.

-      Par ailleurs, l’arrêt des activités de production alimentaire, de restauration et de tourisme affecte directement les femmes qui en sont la principale main d’œuvre.

-      A cela s’ajoute le souci de nourrir sa famille : les femmes sont très majoritairement en charge de la nutrition du foyer, et donc de l’achat des aliments. De même qu’elles portent la charge du soin des personnes malades, des plus âgés mais aussi de l’éducation des enfants.

-      Enfin, en situation de crise, les femmes sont souvent celles qui adoptent des stratégies d’adaptation pour diversifier les sources de revenus. Néanmoins en situation de confinement, les seules stratégies d’adaptation vont reposer sur une réduction de l’alimentation de certains membres de la famille. Or, on remarque que dans les ménages en situation de crise, ce sont les femmes qui mangent le moins et moins bien.

·      La nutrition mise à mal par le coronavirus et ses conséquences

Les productions de légumes, de fruits, de produits animaliers (lait et viande) nécessitent une main d’œuvre importante, qui manque aujourd’hui. La FAO estime ainsi que l’on risque d’assister davantage à une détérioration de la diversité et de la qualité de la nourriture qu’à une réduction de la quantité.

Dans certaines régions du globe, il est plus difficile de se procurer des produits frais à des prix abordables et de manière régulière. Les consommateurs achètent donc principalement des aliments de base ou ultra-transformés et moins de fruits, légumes et produits animaux, affectant leur état nutritionnel.

·     Quel « Jour d’Après » pour les systèmes agricoles et alimentaires ?

La crise sanitaire du coronavirus soulève un grand nombre de questions urgentes et incontournables sur la durabilité de nos systèmes agricoles et alimentaires, qui doivent être traitées pour envisager un futur juste, durable et soutenable.

Nous vivons dans un contexte de crise climatique. Il est crucial pour les Etats de repenser les filières agricoles et alimentaires vers plus de résilience, afin de permettre à la fois aux agriculteurs et agricultrices de vivre dignement de leur métier et à chacun-e de pouvoir se nourrir sainement et durablement.

-      Les mesures à prendre à court terme pour soutenir les systèmes agricoles et alimentaires

Oxfam demande que :

·      Malgré les pressions financières pour faire face à la crise sanitaire du coronavirus, les bailleurs institutionnels et les gouvernements ne doivent pas diminuer leurs soutiens aux secteurs essentiels et notamment à l’agriculture. Ces secteurs sont essentiels pour assurer les moyens d’existence de centaines de millions de personnes, et pour construire une résilience de long terme.

·      Les gouvernements et tout particulièrement les ministères de l’agriculture doivent soutenir la continuité dans les chaînes d’approvisionnement alimentaires et les marchés pour garantir aux agriculteurs et agricultrices la capacité de semer, récolter, vendre et assurer leur revenu, tout en étant protégés face à la crise sanitaire.

·      Les gouvernements doivent maintenir la disponibilité des aliments en garantissant le transport alimentaire dans les zones rurales, et des ports aux centres urbains. Les gouvernements ne doivent pas mettre en place de restrictions à l’export ou contraindre les flux d’approvisionnement entre pays en réponse au coronavirus, car cela créerait des effets délétères sur les pays importateurs nets.

·      Les gouvernements doivent investir massivement dans des programmes de sécurité sociale à destination des populations les plus vulnérables pour garantir leur accès à l’alimentation. Pour cela il faut améliorer ou réactiver les filets de protection sociale. Dans certains contextes, renforcer les réserves alimentaires peut aussi être une solution.

 Pour le Jour d’Après : retenir les leçons du coronavirus, construire un système agricole et alimentaire soutenable et durable

Oxfam demande que :

     Les gouvernements doivent prioriser des systèmes agricoles relocalisés, avec des circuits d’approvisionnement plus courts, plus juste socialement et moins émetteurs de gaz à effets de serre dans le cadre d’une trajectoire à 1,5°C. Construire des systèmes résilients ne veut pas dire abandonner le commerce international, mais accroître la capacité nationale à produire, transformer, stocker, vendre.

     Les gouvernements et les bailleurs de fonds doivent soutenir les agricultures paysannes et les approches agro-écologiques les plus à même de nourrir la population mondiale dans une approche juste écologiquement et socialement. Cela nécessite des financements appropriés pour l’installation et le maintien des exploitations mettant en œuvre ces pratiques, et pour la recherche et la formation promouvant ce modèle.

     La France doit investir dans et soutenir le Comité pour la Sécurité Alimentaire, seul organe légitime de gouvernance de la sécurité alimentaire au niveau international. Il est indispensable pour coordonner une réponse globale en termes de sécurité alimentaire mondiale. La France doit particulièrement soutenir une participation inclusive de tous les acteurs, et notamment de la société civile.

 

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