A défaut d’annonces officielles sur le projet de
relance après le Covid 1910, l’article de Mehdi Michbal présente sur le site
Media24 une excellente synthèse des propositions des nombreux économistes qu’il
a interrogé(e)s, depuis le début de la crise. Il relève des convergences fort
pertinentes qui dépassent les éventuels clivages qu’on aurait supposés plus
importants.
Un document qui devrait être versé dans la collecte
de la Commission Spéciale du Nouveau Modèle de Développement (CSNMD)
10.05.2020 - Mehdi Michbal[1]
R0 ou
pas, les contraintes économiques et sociales imposent le déconfinement. Voici à
quoi devrait ressembler le plan de relance selon les différents experts que
nous avons rencontrés.
Le Maroc
est parmi les rares pays dans le monde où le confinement de la population reste
(en théorie) total. Une situation qui ne peut durer davantage.
Dans le
monde, ce sont d’abord les contraintes économiques qui ont imposé le
déconfinement. Ce sera pareil au Maroc. Car R0 ou pas, la
situation n’est pas soutenable, ni pour les entreprises, ni pour les
ménages, encore moins pour les finances publiques.
D’autant
que sur le plan sanitaire, le Maroc a réussi jusque-là à juguler la pandémie.
Le confinement, décidé très tôt, a permis d’aplatir la courbe. Et a épargné,
selon le Chef du gouvernement dans sa dernière interview télévisée, pas moins
de 200 décès par jour. C’est une grande victoire.
Les
déclarations de Laftit au Parlement, un des hommes les mieux informés de la
situation, laissent penser également que le déconfinement serait proche. « Il
faudra qu’on apprenne à vivre avec le virus », a-t-lancé lors de son
passage devant la commission de l’Intérieur mercredi 29 avril,
comme pour préparer les esprits à ce scénario de sortie du lock down.
Des antalgiques en
attendant le traitement de fond
Comme
partout dans le monde, le déconfinement sera certainement progressif.
Et derrière le déconfinement, se pose la grande question du plan de relance
de l’économie, qui a subi, en plus de la sécheresse, un double choc
de l’offre et de la demande du fait, d’une part, de l’arrêt brutal du tissu
productif et des activités de l’informel, et de l’autre, du confinement
de la population qui réduit et ses revenus et sa consommation.
Un choc
inédit, d’une grande ampleur, qui a été d’abord amorti par les mesures
d’urgence décidées par le comité de veille économique (CVE). Une sorte
de « war room » économique qui a tenté depuis sa constitution d’agir
sur l’urgence du moment, éteindre le feu, à travers deux leviers :
·
Soutenir le pouvoir
d’achat des ménages en déployant un hélicoptère monétaire qui a
arrosé aussi bien les chômeurs inscrits à la CNSS, les travailleurs de l’informel
et les populations vulnérables vivant jusque-là hors des radars de
l’appareil de protection sociale.
·
Soulager la
trésorerie des entreprises, en leur permettant de reporter charges
sociales, fiscales et bancaires. Et en mettant à leur disposition une
nouvelle ligne de financement de trésorerie garantie par la CCG (Damane
Oxygène).
Des
antalgiques qui soulagent la douleur. Mais ne peuvent régler
les causes de la maladie en l’absence de traitement de fond qui permettra à
l’économie de se relever, aux entreprises de retrouver leur rythme de
production et aux ménages de recouvrir leur pouvoir d’achat.
L’objectif
étant de limiter au maximum la très lourde récession qui s’annonce
pour 2020, pour permettre à l’économie de retrouver le chemin de la croissance
dès 2021. Une croissance qui devrait être plus inclusive, créatrice d’emplois
et de valeur et qui mettrait le Maroc sur les rails d’un nouveau modèle de
développement. Le Covid-19 nous donne en cela une très belle opportunité
pour reconstruire notre modèle économique sur de nouvelles bases.
Des plans de relance
sectoriels sans vision macro ?
Dans sa
dernière réunion, le CVE a annoncé avoir déjà lancé la réflexion sur le plan de
relance. Sa stratégie sera communiquée avant la fin de l'état d'urgence
sanitaire et s'appuiera, d’après les premiers éléments communiqués, sur
des plans de relance sectoriels, des solutions de financement à long
terme, une réduction des délais de paiement et un soutien à la
demande. Ce plan sera affiné lors des prochaines réunions du comité de
veille.
La réponse
du gouvernement sera donc sectorielle, adaptée à la réalité et aux difficultés
de chaque branche d’activité. Mais on ignore jusque-là son cadre global
ou le socle de valeurs et de choix en matière de politique économique qui la
guidera.
En Europe
comme aux Etats-Unis, ce sont d’abord les grands choix macro-économiques
qui ont été annoncés par les décideurs politiques. On a défini d’abord un
cap, en essayant ensuite d’affiner des réponses adaptées à chaque secteur
ou branche de l’économie.
Ces grands
choix sont désormais connus : fin de l’orthodoxie budgétaire et
monétaire, relance de l’économie par la dépense publique, activation
de la planche à billets, injection massive de liquidités dans
l’économie, recours massif à l’endettement public, redéfinition du rôle
des banques centrales, dont certaines sont désormais autorisées --dans une
grande première-- à financer directement les Etats et les entreprises, réappropriation
des appareils productifs dans les secteurs jugés stratégiques…
De grandes
ruptures sont ainsi annoncées à l’international, chamboulant tous les
dogmes du passé et traçant les contours d’un nouveau monde, où les Etats
reprennent désormais les rênes de l’économie et où les excès de l’hyper
mondialisation, de l’ultra libéralisme et du libre-échange à
outrance seront corrigés.
Au Maroc, à part la prise de position publique de Aziz Akhannouch
sur ces grands sujets, nous n’assistons pas encore à ce débat chez nos
responsables politiques. Il semble même que l’exécutif, comme l’a déclaré, peut
être maladroitement, mais en toute honnêteté, Saadeddine El Othmani,
« n’a pas encore de vision d’ensemble » sur la relance. Et on semble
se diriger vers des recettes classiques de soutien à la demande et aux
entreprises, par le biais de subventions par-ci, d’exonérations fiscales et
sociales par-là (sur l’IS ou l’IR), des facilitations des conditions de
financement bancaires, des plans de consolidation des dettes privées, et une
recapitalisation d’établissements publics mis à terre par le Covid-19.
La recette que nous
concocte le CVE n’est pas encore prête, mais ça sent déjà du
réchauffé... Tout plan de relance doit se baser d’abord une vision globale,
sur des choix de politique économique.
Se posent
en effet de grandes questions auxquels le gouvernement n’apporte pas
pour l’instant de réponses : va-t-on rompre avec les dogmes économiques
du passé ? Jusqu’à quel point l’Etat est-il prêt à s’engager via la
dépense et la commande publique ? Va-t-on programmer et assumer des déficits
budgétaires ou resterons-nous sur l’attitude du bon élève du FMI ?
Va-t-on activer de nouveaux leviers de financement pour la relance ?
Quel rôle devra jouer Bank Al Maghrib dans cet effort de relance ?
Faut-il instaurer de nouveaux impôts pour relever le niveau des recettes
de l’Etat et se donner les moyens de régler les dettes qui naîtront de la crise ?
Comment faire face à la vague de relocalisation mondiale qui
s’annonce ? Faut-il infléchir notre politique de libre-échange, renégocier
les ALE ? Faut-il mettre une dose de protectionnisme dans
certains secteurs ? Se lancer dans une politique de substitution aux
importations ? Dans quelles niches industrielles faut-il
orienter l’investissement privé ? etc…
Les
réponses à ces questions ne sont pas techniques, technocratiques. Mais des
choix politiques que le gouvernement doit être en mesure --quel que soit le
cap choisi-- d’annoncer, d’assumer, avant d’entrer dans le détail de chaque
plan sectoriel. Car ce sont ces grands choix qui définiront les réponses micro,
et donneront une vision d’ensemble de la direction que va prendre le pays pour
se relever de cette crise.
En
attendant une réponse du politique, un consensus semble toutefois se dégager
dans les cercles économiques du pays autour de ces grandes questions.
Médias 24 a sondé ces deux dernières semaines les avis d'économistes,
consultants et experts. Voici à quoi doit ressembler, selon eux, la réponse
marocaine à ce choc inédit.
La relance se fera par la commande publique ou ne se fera pas
Cette crise
est singulière. Un choc de l’offre et de la demande. La relance
doit répondre à ces deux composantes. Et cela ne peut se faire selon nos
experts que par une intervention publique par la dépense budgétaire. Quitte à
faire exploser le déficit budgétaire. « Rome brûle, il faut
mobiliser tous les moyens pour optimiser la position du Maroc », comme le
déclare le banquier d’affaires Michael Zaoui.
Le temps
n’est donc pas à l’austérité. Un tel choix serait suicidaire,
soutient également l’économiste Nezha Lahrichi. Qui comme Larabi
Jaidi, Najib Akesbi, Tarik El Maki ou Omar Balafrej pensent qu’il est temps
de s’affranchir des règles que nous imposent les institutions
internationales en matière de déficit budgétaire.
Si le
principe de la dépense publique est acquis, il faut néanmoins que ces dépenses
soient ciblées et orientées, comme le suggèrent nos experts, vers les
secteurs productifs, l’aide aux ménages les plus vulnérables et le sauvetage de
quelques fleurons de l’économie que le Covid-19 a mis à terre.
Saâdia
Bennani, PDG de Valyans, qui soutient également le scénario de relance par la
commande publique, propose à ce titre la réactivation de quelques dispositions
réglementaires jusque-là peu (voire pas du tout) appliquées pour une meilleure
efficacité de l’effort public. Elle cite notamment le critère de la préférence
nationale dans l’octroi des marchés publics et l’obligation de réserver au
moins 30% du contenu de la commande publique aux TMPE.
L’intervention
budgétaire doit cibler également comme le suggèrent Larabi Jaidi et Tarik El
Malki la recapitalisation de quelques fleurons nationaux mis à terre par
le Covid-19, comme l’ONEE et la RAM.
Autre
question qui se pose : les acteurs de cette commande. Car ce
n’est pas à l’Etat seul de porter ce fardeau, comme le rappelle Larabi
Jaidi. « La commande publique n’émane pas uniquement de l’Etat central.
Les Etablissements publics représentent entre 60 à 65% de l’ensemble de la
commande publique. Les collectivités territoriales ont aussi un rôle à jouer,
leurs dépenses représentant entre 7 à 10% de la commande publique ».
Donc dépenser,
oui. Mais il faudra définir les acteurs de cette dépense, son orientation,
et surtout faire en sorte qu’elle cible les entreprises nationales. La
finalité n’est pas juste d’injecter de l’argent, mais de cibler des acteurs
nationaux, en particulier les TPME fragilisées par la crise, pour leur
permettre de se relever de ces deux mois de lock down, de créer des emplois et
de la valeur ajoutée.
Le cas du
BTP illustre à merveille l’effet que pourrait avoir une commande publique
bien ciblée sur la machine économique, comme le
démontre l’économiste Driss Effina :
« La moitié
des investissements dans l’économie passent par le BTP. C’est un
secteur domestique dont la relance peut avoir des effets d’entrainement sur
plusieurs activités. Le BTP compte beaucoup d’activités informelles et
d’artisans qui y opèrent de façon directe ou indirecte. Le gens qui
construisent viennent généralement des régions pauvres. Lorsque la construction
reprendra, ce sont ces régions qui seront dynamisées en premier grâce aux
transferts des revenus. Le secteur fait aussi travailler le transport, de
nombreuses activités de services, de l’industrie (ciment, fer à béton,
peinture…). Il peut avoir des effets multiples sur toute l’économie ».
Maintenir les aides aux ménages pendant la période de flottement
Au-delà du
soutien aux entreprises, soit par des injections de capitaux ou par le
renflouement de leur carnet de commande, l’intervention budgétaire de l’Etat
doit également servir à maintenir à flot le pouvoir d’achat des ménages.
L’hélicoptère
monétaire déployé en temps de confinement ne doit pas cesser dès la
sortie du confinement, estime ainsi Omar Balafrej.
Le redémarrage
de l’économie doit prendre au moins cinq à six mois, selon lui.
C’est ce que le consultant Abdou Diop appelle « le temps de
latence », pendant lequel le seul coussin de sécurité sera le soutien
étatique.
Et ceux qui
ont perdu leur travail, ou qui ne pourront pas exercer pleinement leur activité
dans l’informel à cause des mesures d’urgence sanitaire qui resteraient en
vigueur après le déconfinement, doivent pouvoir compter sur le soutien de
l’Etat. La situation sociale deviendrait explosive, dans le cas
contraire. Certains proposent ainsi que le fonds anti-Covid soit doté
davantage pour maintenir les aides sociales aux populations les plus
vulnérables.
Larabi
Jaidi et Najib Akesbi estiment à ce juste titre que cette grande opération de transfert
monétaire direct aux ménages expérimentée en temps de confinement doit
être généralisée dans l’avenir proche. La crise a révélé la fragilité d’une
large frange de la population, qui vit au jour le jour, sans le moindre filet
social.
La data
accumulée pendant le confinement, qui doit en toute évidence être corrigée, peut
servir de première base pour un mécanisme de transfert plus durable. Un
préalable à l’instauration d’un revenu universel ciblant les populations
les plus vulnérables, une sorte de revenu de « dignité » qui
couvrirait les besoins de base des plus démunis et réduirait au passage les
inégalités sociales qui se sont creusées ces deux dernières années.
Plus de
commande publique pour les entreprises et poursuite des aides sociales aux
ménages sont donc les deux leviers à activer en urgence pour doper l’économie
au sortir du confinement sur les deux volets de l’offre et de la demande.
L’Etat ne
doit pas être regardant sur la dépense. Le directeur
général du CMC, Tarik Malki, estime les besoins entre 100 et 200 milliards de
dirhams. Selon lui, ce sont 10% du PIB minimum qui doivent être mis sur la
table. Et sans plus tarder.
Comment
financer ce plan de relance et le déficit budgétaire qui naîtra de son
exécution ?
A situation
exceptionnelle, nos experts proposent des mesures tout sauf
conventionnelles : casser les plafonds de l’endettement public en
s’endettant sur le marché intérieur, extérieur et en prévoyant même l’ouverture
d’un canal direct de financement entre le Trésor et la banque centrale.
La dette publique pour financer l’effort de relance
Le sujet de
la dette, surtout extérieure, a toujours constitué un tabou pour le Maroc.
Traumatisé par les années du PAS, le pays a depuis les années 1990
tout fait pour maintenir sa dette à un niveau soutenable. Tout en tentant d’en
inverser la structure.
Résultat
des courses : le Maroc tourne depuis plus de 15 ans à une dette qui ne
dépasse que rarement 65% de son PIB. Et a réussi en parallèle à réduire sa
composante externe à moins de 20% du stock global.
Le souci de
nos gouvernants était le suivant : se conformer au ratio des
60% du PIB exigé par les institutions internationales, pour maintenir une
certaine crédibilité vis-à-vis des marchés. Et éviter, en cas de choc
externe, de perdre en souveraineté économique et retomber dans un nouveau plan
d’ajustement structurel, avec ce que cela comporte comme grands sacrifices
sociaux.
Le choc
inédit de la crise du Covid-19 nous impose aujourd’hui, selon nos experts, de revoir
ce logiciel de pensée et de nous affranchir de cette règle des 60%.
D’autant que tous les pays, y compris les plus orthodoxes ne la respectent
plus, et que toutes les conditions pour un endettement pas cher et soutenable
sont réunies, aussi bien sur le marché intérieur qu’à l’international.
Sur le
marché extérieur, les taux n’ont jamais été aussi bas. Le Maroc,
qui maintient toujours son « Investment grade », peut lever de
l’argent à des taux ne dépassant pas les 2%, comme pour sa dernière levée de
2019. C’est de l’argent presque gratuit. Et dont l’amortissement peut être
lissé sur de très longues maturités.
C’est le
raisonnement qu’avance Michael Zaoui, grand connaisseur des marchés financiers
internationaux :
« Le Maroc a un avantage : sa crédibilité à l’international lui permet de mobiliser des ressources à l’étranger. Les taux de la dette n’ont jamais été aussi bas. Il faut donc emprunter. La seule chose qui compte, c’est la charge à payer et l’amortissement de la dette. Il se trouve qu’on peut aujourd’hui emprunter à des taux très bas et à des durées très longues. On parle aujourd’hui dans les marchés de maturités de 50 voire de 100 ans. Tant que les charges d’intérêt restent basses et que le calendrier de paiement est lointain, l’endettement reste soutenable ».
« Le Maroc a un avantage : sa crédibilité à l’international lui permet de mobiliser des ressources à l’étranger. Les taux de la dette n’ont jamais été aussi bas. Il faut donc emprunter. La seule chose qui compte, c’est la charge à payer et l’amortissement de la dette. Il se trouve qu’on peut aujourd’hui emprunter à des taux très bas et à des durées très longues. On parle aujourd’hui dans les marchés de maturités de 50 voire de 100 ans. Tant que les charges d’intérêt restent basses et que le calendrier de paiement est lointain, l’endettement reste soutenable ».
Jaidi,
Akesbi, El Malki comme Balafrej défendent également l’option
de la dette publique. Mais pensent plutôt que les levées à l’international
doivent être évitées au maximum. Pour une question de souveraineté économique
essentiellement. Et parce que le Maroc dispose encore d’une grande marge de
manœuvre : en levant d’abord de l’argent sur le marché des Bons de Trésor.
Et pour ne pas créer un effet d’éviction dans l’économie, permettre au Trésor
de se financer directement auprès de la banque centrale s’il le faut. Solution
tout sauf conventionnelle à laquelle a eu recours l’Angleterre pour financer
son plan massif de relance.
Cette
option suppose toutefois la revue des statuts de Bank Al-Maghrib qui lui
interdisent aujourd’hui de prêter directement à l’Etat, principe d’indépendance
oblige. Et c’est ce principe même qui est remis aujourd’hui en cause par la
plupart des experts consultés.
La monnaie, pour eux,
est un instrument économique comme les autres. Et sa gestion doit être
soumise à l’appréciation de l‘exécutif, qui est l’émanation de la volonté
populaire.
« Dans
une démocratie, le peuple doit avoir le dernier mot dans tout ce qui
concerne la gestion publique fut-elle dans des domaines aussi techniques que la
monnaie ; et aucune technostructure aussi compétente soit-elle,
ne doit exercer de tutelle sur lui ni imposer des politiques dont il n’est pas
la source et la finalité », estime l’économiste conservateur Nabil Adel.
Un des seuls points où il rejoint d’ailleurs les économistes de gauche qui ont
de tout temps appelé à la soumission totale de Bank Al Maghrib à l’exécutif.
Quelle que
soit leur provenance (marchés internationaux, marché intérieur, planche à
billet…), ces dettes vont ainsi permettre d’éteindre le feu et relancer la
machine. Mais comme il n’y pas d’argent magique, ces dettes, il faudra bien les
payer un jour. Et c’est là où un autre axe du débat autour de la relance entre
en jeu : qui paiera la facture finale ? Comment résorber le
grand stock de dette que nous léguera cette crise, sans pour autant créer un
effet pervers sur l’économie par l’augmentation de la pression fiscale sur les
entreprises et les ménages ?
Combiner inflation et nouvelles recettes fiscales
Première
solution proposée par nos experts : laisser filer l’inflation.
L’augmentation générale des prix fait baisser la valeur réelle de la dette et
allège, de facto, son fardeau sur les finances publiques. C’est ce que tous les
pays européens ont fait au sortir de la seconde guerre mondiale pour absorber
les énormes dettes accumulées pour financer l’effort de guerre.
Mais comme
l’inflation ne se décrète pas, nos économistes estiment que la politique
monétaire menée par Bank Al-Maghrib doit être plus expansionniste, à
travers des injections massives de liquidités dans les banques, qui
doivent arroser, à leur tour les entreprises à travers des crédits de
trésorerie et d’investissement à des taux très bas. Mais aussi les ménages,
par le biais de crédits au logement et à la consommation à des conditions
favorables.
L’idée est
donc de créer plus de monnaie, pour booster la demande et pousser les prix sur
le marché à la hausse. Bank Al-Maghrib dont la mission première est de veiller
à la stabilité des prix et cible un taux d’inflation de 2%, est appelée donc à
mettre un peu d’eau dans son vin et lâcher les vannes. Nos experts estiment
ainsi que les statuts de Bank Al Maghrib doivent même être revus et intégrer
désormais, en plus de l’objectif de stabilité des prix, des objectifs en termes
de création d’emploi et de soutien à la croissance.
En théorie,
ce raisonnement parait implacable. Sauf que des préalables existent pour que la
transmission des décisions de Bank Al-Maghrib puisse réellement impacter les
prix et l’économie réelle.
Ce point a
été notamment soulevé par Christian De Boissieu, économiste et membre du
comité scientifique de l’AMMC, qui pense que tant que les réglementations
bancaires restent sévères, freinant la distribution de crédits aux TPME
notamment, lâcher du
cash à volonté ne servira à rien sauf à créer des
bulles sur le prix des actifs immobiliers et financiers.
Pour lui,
pour rendre efficace cette politique monétaire expansionniste, il faut d’abord desserrer
l’étau des règles prudentielles imposées aux banques. « On ne peut pas
avoir une politique monétaire qui appuie à fond sur l’accélérateur et une
politique prudentielle qui appuierait à fond sur le frein. Il faut savoir ce
qu’on veut », explique-t-il.
Et même en
allégeant les règles de Bâle III, De Boissieu doute que cette création
monétaire aboutisse in fine à plus d’inflation. Car les causes possibles de
l’inflation sont totalement absentes : « le pétrole est à son plus
bas historique. La probabilité d’une inflation énergétique est de zéro. Idem
pour l’inflation salariale au vu de la montée du chômage. Aucun risque non plus
d’importer de l’inflation, car le dirham ne risque pas de baisser au point
d’impacter les prix des produits importés. Et ce malgré
l’élargissement de sa bande de fluctuation à 5% ». Pour lui, il ne
faut pas donc compter sur l’inflation pour alléger le fardeau de la dette
publique…
Le sujet de
l’efficacité des politiques monétaires expansionnistes n’est pas donc tranché.
Et est également largement contesté par le camp des conservateurs.
Une chose
toutefois reste sûre : rembourser la dette publique passera
forcément par la levée de nouvelles recettes fiscales, premier socle du
budget de l’Etat. Et là, les arbitrages sont difficiles. Car comme le signale
Michael Zaoui, « augmenter les impôts en temps de crise peut être suicidaire ».
Larabi Jaidi pense aussi qu’une augmentation de la pression fiscale peut créer
des effets pervers et annihiler tous les efforts de relance.
L’Etat peut
agir par exemple sur l’IR ou l’IS. Mais toucher à ces deux impôts
serait contradictoire avec la politique de soutien à l’offre et la demande.
Que faire ? Larabi Jaidi propose par exemple de créer de nouveaux impôts
sur le patrimoine et les successions. Et de revoir au passage la progressivité
de l’impôt sur le revenu en instaurant de nouvelles tranches qui touchent
les hauts revenus. Du Pikettisme pur et dur que soutiennent pratiquement
tous les économistes consultés.
Cette crise
a généré un grand élan de solidarité de la part des grandes entreprises et des
classes aisées à travers les contributions au fonds anti-Covid 19. Nos
économistes proposent simplement de pérenniser cet élan de solidarité par
l’impôt. Selon les arbitrages politiques, cela peut prendre la forme d’une contribution
de solidarité limitée dans le temps, ou être institué comme impôt en bonne
et due forme, qui participera au financement partiel des déficits actuels, et à
résorber au passage les déficits sociaux dans les secteurs de l’éducation et de
la santé.
Tarik El
Malki propose même d’enclencher une grande réforme fiscale, « la mère
des réformes », selon ses termes : « ll reste des pans
entiers de l’économie qui ne paient pas l’impôt. Et je ne parle pas ici des
médecins, des avocats qui ne représentent en réalité pas grand-chose, mais des
commerçants, des grossistes, qui font des milliards de chiffre d’affaires
et paient des forfaits. Il faut mettre également de la progressivité dans l’IR,
introduire un nouvel impôt sur le patrimoine et les successions, réformer la
TVA et réorienter les dépenses fiscales. L’argent existe. Il faut aller le
chercher là où il est ».
Cette
réforme peut rapporter jusqu’à 40 milliards de dirhams de recettes
supplémentaires selon ses calculs. De quoi résorber le déficit des
comptes publics et donner les moyens à l’Etat d’investir massivement dans
l’éducation, la santé et la protection sociale pour alléger les inégalités
criantes entre classes sociales.
Sortir de la logique de rente pour réindustrialiser le pays
Ces efforts
de relance de l’Etat ne serviraient à rien si derrière on ne développe pas un tissu
productif, créateur de d’emploi et de valeur ajoutée. Et seule l’industrie,
selon nos experts, peut répondre à ces deux enjeux.
Le Maroc a
misé jusque-là sur les IDE en faisant la promotion des nouveaux métiers
mondiaux : automobile, aéronautique, offshoring… Un pari qui a produit des
résultats, mais qui est sérieusement remis en cause par les effets de la
crise du Covid-19 sur les politiques industrielles dans le monde.
D’abord
parce que les crises produisent automatiquement une chute des IDE, comme
le rappelle Michael Zaoui. Une chute qui peut atteindre les 50%... Et
puis, parce que cette baisse des IDE prédite par le banquier d’affaires ne sera
pas simplement conjoncturelle, mais va fort probablement s’inscrire dans
la durée, avec la montée des discours souverainistes en Europe et aux Etats
Unis et les mouvements de relocalisation qui s’en suivront.
Le Maroc
doit désormais compter sur ses ressources propres. Et lancer une nouvelle
politique industrielle bâtie essentiellement sur le capital marocain. Pour y
arriver, les économistes consultés sont unanimes sur une chose : le
Maroc doit désormais pouvoir produire une partie de ce qu’il importe.
Cela peut
s’agit de produits finaux, comme les biscuits, les chocolats, les bonbons, les
conserves de légumes, les produits d’habillement et de textile et autres
produits de consommation turcs et asiatiques qui inondent nos marchés. Comme de
produits de consommation intermédiaire utilisés dans l’industrie.
Nezha
Lahrichi met justement le doigt sur ce dernier facteur qui parait pour elle
essentielle pour relancer le tissu industriel : « Par exemple, pour
exporter des sardines, il n’y aucune raison qu’on soit obligé de passer par
l’étranger pour acheter des boites qu’on pourrait produire localement. Au
Maroc, on importe plus pour produire que pour consommer. Il faut donc
agir sur les consommations intermédiaires pour produire de la valeur ajoutée ».
Elle
appelle pour cela de sortir de la logique des écosystèmes sectoriels pour bâtir
une politique basée sur ce que les économistes appellent « le tableau
des relations intersectorielles » : Ce que produit un secteur
doit être utilisé par un autre secteur.
Cette politique
d’import substitution aura un double effet : créer une nouvelle
vague d’investissement dans l’industrie et limiter les importations
du pays. Ce qui boostera la valeur ajoutée locale, favorisera la création
d’emplois, et réduira par ricochet le déficit de notre balance commerciale.
Mais cela
suppose, selon nos experts, que le Maroc revoie ses dogmes en matière de
commerce extérieur : renégocier les ALE avec l’Europe, la Turquie,
les Etats-Unis et les pays arabes. Et mettre des clauses de sauvegarde
dans les niches qu’on veut développer pour assurer une certaine protection
aux opérateurs locaux face à la concurrence mondiale.
Cette
politique de renouveau industriel suppose également que nos entrepreneurs jouent
le jeu, sortent de leur zone de confort. Et cela ne peut se faire que si
l’Etat décide de réorienter la batterie d’incitations accordées actuellement à
des secteurs rentiers vers l’industrie.
La PDG de
Valyans l’exprime ici sans détours : « L’entrepreneur marocain est un
homo economicus comme les autres. Lorsqu’il sent qu’il y a un avantage à opérer
dans un secteur, il le fait. Si je peux faire de l’immobilier et bien gagner ma
vie, pourquoi irais-je m’aventurer dans l’industrie ? A un moment donné,
on avait besoin de produire beaucoup de logements sociaux, et on a fait la
bonne politique. Aujourd’hui, on a besoin de développer l’industrie. Il
faudrait donc faire la même chose et réorienter l’investissement de nos
entreprises vers ce secteur-là ».
En résumé, la
recette qui fait consensus, mais qui mérite encore d’être débattue,
challengée, allie commande publique, injection massive de liquidité pour
soutenir les entreprises et les ménages et réorientation de l’effort
d’investissement privé vers l’industrie à travers la promotion d’une
politique d’import-substitution.
Financer ce
programme de relance passera par de l’endettement public et par une politique
monétaire expansionniste qui, à son tour, ne peut être efficace si on ne
desserre pas l’étau de la réglementation bancaire en matière de ratio de
liquidité, d’exigences en fonds propres et de gestion des risques.
Des mesures
qui supposent des ruptures profondes, un changement de dogme en matière de
politiques économique et monétaire. Et une forte dose d’audace politique.
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