Dans un
célèbre film d’Henri-Georges Clouzot intitulé Le salaire de la peur, qui
a remporté la Palme d’or au Festival de Cannes en 1953, deux aventuriers
incarnés par Yves Montand et Charles Vanel acceptent, pour une somme de 2000 $,
considérable à l’époque, de transporter 400 kilos de nitroglycérine sur les
routes cabossées d’Amérique centrale malgré la peur qui les tenaille.
Les
nouvelles primes que le gouvernement Legault offre maintenant à
ceux et celles qui accepteront de travailler dans les « zones chaudes » des
CHSLD et des hôpitaux infectés par la COVID-19 sont peut-être moins
affriolantes, mais elles constituent aussi une sorte de « salaire de la
peur », qui témoigne de la difficulté de trouver des volontaires.
Le problème
est que cette bonification peut aussi être dissuasive, dans la mesure où
elle vient souligner le risque que courront ceux qui l’accepteront.
Souhaitons qu’ils soient nombreux, mais force est de constater que
l’absentéisme dans le réseau de la santé n’a cessé d’augmenter depuis que la
rémunération des préposés aux bénéficiaires a été augmentée une première fois.
De toute
évidence, plusieurs estiment que leur vie et celle de leurs proches n’ont pas
de prix. Malgré toute l’horreur du drame qui se déroule dans les CHSLD, comment
le leur reprocher ? On les a abandonnés sur cette galère et ils ont toutes les
raisons d’en vouloir à ceux qui ont fait la sourde oreille aux multiples
avertissements lancés depuis des années.
Il était
clair dès le départ que la santé, y compris la santé mentale, et l’économie
étaient deux facteurs qu’il fallait prendre en compte dans la gestion de la
crise et la décision de déconfiner, mais on en avait peut-être sous-estimé un
troisième, la peur, qu’on ne peut pas mesurer avec des tests de dépistage ou
des projections comptables.
M. Legault
s’est excusé de ne pas avoir passé outre les objections syndicales et augmenté
la rémunération des préposés aux bénéficiaires avant même le début de la
pandémie, mais rien n’assure que cela aurait suffi à apaiser leurs craintes.
Soit, la Prestation canadienne d’urgence (PUC) a pu faire grossir le risque
d’un retour au travail aux yeux de certains, mais comment le gouvernement
Trudeau aurait-il pu les en exclure ?
À propos de
la peur, les proverbes divergent. On dit tantôt qu’elle est « mauvaise
conseillère », tantôt qu’elle est « le début de la sagesse ». Le
problème est qu’on ne le sait souvent qu’après. Pour mémoire, dans le film de
Clouzot, un des deux aventuriers meurt de la gangrène après avoir eu la jambe
écrasée sous les roues d’un camion. L’autre réussit à remplir sa mission et
empoche les deux primes, mais tombe bêtement dans un ravin sur le chemin du
retour. Au bout du compte, ni l’un ni l’autre n’ont été tués par la
nitroglycérine.
Si les
travailleurs de la santé sont sur la ligne de front, bien des enseignants et
des éducatrices, en particulier les plus âgés, craignent aussi pour leur
sécurité. Il n’est pas question de leur offrir des primes, mais ils doivent au
moins avoir le sentiment qu’on leur donne l’heure juste et qu’on leur demande
de rentrer au travail pour les bonnes raisons. Le doute ne peut qu’entretenir la
peur.
Quand il a
déclaré, lundi dernier, que les plus de 60 ans étaient à risque,
M. Legault savait très bien que les 60-69 ans ne représentaient
que 6,5 % des décès. Il ne pouvait pas décemment transformer ce chiffre en
argument pour les inciter à retourner au travail à peine deux jours plus tard.
Faire valoir qu’il serait injuste de les en empêcher était un sophisme
grossier. Il ne s’agissait pas d’une autorisation, mais bien d’une demande.
Tout le monde a compris que le retour au travail des enseignants et des
éducatrices était surtout une condition indispensable à la reprise des
activités économiques.
De la même
façon, décider soudainement de faire passer de 10 à 15 le nombre d’enfants
qui pourront se retrouver dans un service de garde scolaire allait ouvertement
à l’encontre de tous les conseils de prudence que le gouvernement a multipliés
depuis des semaines. Avec toutes ces contradictions, comment ne pas être
troublé ?
Reporter la
réouverture des commerces et des écoles à Montréal était une sage décision sur
le plan de la santé, mais cela contribuera peut-être aussi à redonner confiance
dans les motivations du gouvernement. M. Legault avait été bien averti que
le déconfinement serait une opération infiniment plus délicate à mener que le
confinement, et cela ne fait que commencer.
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