samedi 9 mai 2020

09.05 – Covid 19 – Québec, Le salaire de la peur


09.05.2020 - Michel David[1]
Dans un célèbre film d’Henri-Georges Clouzot intitulé Le salaire de la peur, qui a remporté la Palme d’or au Festival de Cannes en 1953, deux aventuriers incarnés par Yves Montand et Charles Vanel acceptent, pour une somme de 2000 $, considérable à l’époque, de transporter 400 kilos de nitroglycérine sur les routes cabossées d’Amérique centrale malgré la peur qui les tenaille.
Les nouvelles primes que le gouvernement Legault offre maintenant à ceux et celles qui accepteront de travailler dans les « zones chaudes » des CHSLD et des hôpitaux infectés par la COVID-19 sont peut-être moins affriolantes, mais elles constituent aussi une sorte de « salaire de la peur », qui témoigne de la difficulté de trouver des volontaires.
 
Le problème est que cette bonification peut aussi être dissuasive, dans la mesure où elle vient souligner le risque que courront ceux qui l’accepteront. Souhaitons qu’ils soient nombreux, mais force est de constater que l’absentéisme dans le réseau de la santé n’a cessé d’augmenter depuis que la rémunération des préposés aux bénéficiaires a été augmentée une première fois.
De toute évidence, plusieurs estiment que leur vie et celle de leurs proches n’ont pas de prix. Malgré toute l’horreur du drame qui se déroule dans les CHSLD, comment le leur reprocher ? On les a abandonnés sur cette galère et ils ont toutes les raisons d’en vouloir à ceux qui ont fait la sourde oreille aux multiples avertissements lancés depuis des années.
Il était clair dès le départ que la santé, y compris la santé mentale, et l’économie étaient deux facteurs qu’il fallait prendre en compte dans la gestion de la crise et la décision de déconfiner, mais on en avait peut-être sous-estimé un troisième, la peur, qu’on ne peut pas mesurer avec des tests de dépistage ou des projections comptables.
M. Legault s’est excusé de ne pas avoir passé outre les objections syndicales et augmenté la rémunération des préposés aux bénéficiaires avant même le début de la pandémie, mais rien n’assure que cela aurait suffi à apaiser leurs craintes. Soit, la Prestation canadienne d’urgence (PUC) a pu faire grossir le risque d’un retour au travail aux yeux de certains, mais comment le gouvernement Trudeau aurait-il pu les en exclure ?
À propos de la peur, les proverbes divergent. On dit tantôt qu’elle est « mauvaise conseillère », tantôt qu’elle est « le début de la sagesse ». Le problème est qu’on ne le sait souvent qu’après. Pour mémoire, dans le film de Clouzot, un des deux aventuriers meurt de la gangrène après avoir eu la jambe écrasée sous les roues d’un camion. L’autre réussit à remplir sa mission et empoche les deux primes, mais tombe bêtement dans un ravin sur le chemin du retour. Au bout du compte, ni l’un ni l’autre n’ont été tués par la nitroglycérine.
Si les travailleurs de la santé sont sur la ligne de front, bien des enseignants et des éducatrices, en particulier les plus âgés, craignent aussi pour leur sécurité. Il n’est pas question de leur offrir des primes, mais ils doivent au moins avoir le sentiment qu’on leur donne l’heure juste et qu’on leur demande de rentrer au travail pour les bonnes raisons. Le doute ne peut qu’entretenir la peur.
Quand il a déclaré, lundi dernier, que les plus de 60 ans étaient à risque, M. Legault savait très bien que les 60-69 ans ne représentaient que 6,5 % des décès. Il ne pouvait pas décemment transformer ce chiffre en argument pour les inciter à retourner au travail à peine deux jours plus tard. Faire valoir qu’il serait injuste de les en empêcher était un sophisme grossier. Il ne s’agissait pas d’une autorisation, mais bien d’une demande. Tout le monde a compris que le retour au travail des enseignants et des éducatrices était surtout une condition indispensable à la reprise des activités économiques.
 
De la même façon, décider soudainement de faire passer de 10 à 15 le nombre d’enfants qui pourront se retrouver dans un service de garde scolaire allait ouvertement à l’encontre de tous les conseils de prudence que le gouvernement a multipliés depuis des semaines. Avec toutes ces contradictions, comment ne pas être troublé ?
Reporter la réouverture des commerces et des écoles à Montréal était une sage décision sur le plan de la santé, mais cela contribuera peut-être aussi à redonner confiance dans les motivations du gouvernement. M. Legault avait été bien averti que le déconfinement serait une opération infiniment plus délicate à mener que le confinement, et cela ne fait que commencer.

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