mercredi 13 mai 2020

13.05–Covid 19–Application Wyqaytna et CNDP

Les articles publiés par Media24, les 11 et 12 mai 202, rapportent, respectivement, la présentation de l’application Wyqaytna par les ministères de la santé et de l’intérieur d’une part, et la réponse du Président de la CNDP sur les garanties de respect des données personnelles.

Tout en rappelant l’utilité de tout outil pouvant permettre le renforcement des moyens de lutte contre la pandémie, ils soulèvent deux séries de questions concernant les conditions techniques et de logistiques de mise en œuvre par le ministère de la santé, ainsi que le respect des hypothèses de sa validation par la CNDP.

Le « tracking/tracing » a pris une place particulière et importante dans les débats, depuis que la Corée du Sud et, de manière différente, la Chine avaient réussi à circonscrire la propagation du Covid 19, voire à s’en « débarrasser », même si cette dernière information est en attente de confirmation.

La reproduction de ces deux articles informatifs a pour objectif de partager des données basiques, en attendant/espérant que nos médias, en particulier télévisions et internet, d’organiser des débats plus analytiques et de sensibilisation.

 


11.05.2020 - Comment l'application de traçage aidera dans la lutte contre le Covid-19

Par Hayat Gharbaoui[1]

L'application Wiqaytna viendra en renfort aux moyens déployés par le ministère de la santé pour détecter les cas contacts le plus précocement possible. Voici comment.

Les ministères de la santé et de l'intérieur ont révélé ce lundi 11 mai les premiers détails sur l'application de traçage des contaminations au Covid-19, dans le cadre d'une conférence de presse en ligne. 

L'application marocaine de "notification d'exposition au Coronavirus Covid-19 - Wiqaytna", son nom officiel, a reçu l'accord de la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère Personnel. Cette application, conçue par une équipe multidisciplinaire appartenant à plusieurs organismes publics et privés de façon volontaire et gracieuse, est actuellement en phase de test. Aucune date de lancement n'a été annoncée. 

La conférence a été animée par Abdelhak Harrak, Gouverneur directeur des systèmes d'information et de communication au ministère de l'Intérieur et Dr Mohamed Lyoubi, directeur de l'épidémiologie et de la lutte contre les maladies au ministère de la Santé. 

Le premier a présenté les aspects techniques de l'application marocaine. Le second est intervenu pour expliquer le contexte de son utilisation et son utilité d'un point de vue sanitaire. 

L'utilisation de l'application est volontaire 

Le point sur lequel le gouverneur Harrak a insisté fortement est le suivant : "L'usage de l'application sera basé sur le volontariat". "Mais sa réussite ne peut être envisagée que dans le cadre d'une mobilisation citoyenne".

En effet, pour que cette application remplisse son rôle, elle doit être utilisée par un maximum de personnes.

Or, l'utilisation étant volontaire, il n'est pas aisé de se prononcer dès maintenant sur son efficacité. Quel seuil minimal d'adhésion est-il nécessaire pour envisager un minimum d'efficacité ? Cette question a été posée aux intervenants, mais aucun seuil minimal n'a été partagé avec nous. 

"Plus la proportion des citoyens qui y adhèrent sera grande, plus nos chances de réussite seront importantes", réplique Dr Lyoubi. 

Quoiqu'il en soit, aucune obligation d'installer cette application n'est envisagée, rappelle les intervenants. 

Une fois installée, cette application fonctionne via Bluetooth. "Quand deux utilisateurs qui auront installé l'application seront à proximité l'un de l'autre, des identifiants anonymes et cryptés seront échangés par Bluetooth entre les smartphones", expliquent les intervenants. 

"Si un des utilisateurs est confirmé positif dans les 21 jours qui suivent le contact, l'autre utilisateur recevra une notification. Il sera invité à suivre les recommandations qui lui seront envoyées". 

En d'autres termes, chaque téléphone prendra les coordonnées cryptées de l'autre. "Ces données resteront stockées dans le téléphone. Elles ne seront partagées que quand le propriétaire d'un téléphone donné sera déclaré par le ministère de la santé comme cas confirmé".

Alors les téléphones avec qui il a été contact pendant les 21 derniers jours remonteront aux équipes en charge de la gestion des cas contacts. 

Sur la plan technique, le respect de la vie privée est un point central. Sur ce volet, les intervenants ont insisté sur :

-      Le périmètre d'utilisation limité au contexte coronavirus. Donc l'application et ses données seront détruites une fois la pandémie maîtrisée.

-      L'obtention de l'autorisation de la CNDP le 10 mai 2020.

-      Le stockage des données au niveau du smartphone lui-même.

-      La mise à disposition du code source de l'application en open-source

Les bénéfices de l'application 

L'équipe projet vante les avantages de cette application. Pour l'utilisateur, celle-ci permet de "se faire notifier en cas d'exposition au virus", "éviter les complications grâce à une prise en charge rapide", "éviter de contaminer ses proches". 

Pour le pays, l'application permettra "de réduire la circulation du virus", "réduire davantage le taux de létalité" et "prendre des décisions éclairées pour un meilleur ciblage des actions de riposte". 

Pour le ministère de la santé, l'application Wiqaytna permettra de "faciliter l’identification des contacts des personnes confirmées positives", "gagner en rapidité et en efficacité avec une prise en charge rapide qui permet de limiter les contaminations et éviter les complications", et "optimiser l’utilisation des tests de dépistage", 

Les avantages pour le ministère de la santé sont les plus importants. Mais il est important de noter que cette application n'est pas une solution en soi. Mohamed Lyoubi a été clair sur ce point. L'application vient en renfort au dispositif existant. "Notre dispositif actuel de détection des cas confirmés et des cas contacts restera en place. L'application sera en plus", explique-t-il en donnant un exemple. 

"Quand un cas confirmé se déclare, les équipes du ministère entament l'enquête épidémiologique pour recenser ses contacts sur les derniers jours. Il peut citer sa famille proche, ses amis, ses collègues, ... mais il est difficile d'identifier les personnes avec qui il a été en contact prolongé dans un centre commercial ou dans un supermarché. Des fois régler ses courses dans un supermarché peut prendre jusqu'à 20 ou 30 minutes. On ne sait pas si la personne devant ou derrière nous dans la file est contaminée ou pas. L'application va nous aider à ce niveau".

En plus clair, le ministère continuera à appliquer la méthode d'investigation actuelle qui a montré une certaine efficacité, puisqu'elle a permis de détecter 80% des cas déclarés. Mais elle a une limite, celle de ne pas pouvoir identifier les personnes "invisibles" avec qui le malade était en contact sans le savoir notamment dans les lieux publics.

C'est à ce niveau qu'intervient l'application de notification d'exposition au Coronavirus Covid-19. C'est un outil de plus dans l'arsenal d'investigation du ministère de la santé

Application et dépistage de masse vont de pair

Mais elle a une autre utilité et pas des moindres, c'est de permettre au ministère de "mieux cibler le dépistage", assure Lyoubi. "L'application va nous aider à cibler chez qui nous allons faire le dépistage", avance Lyoubi.

Il est indéniable qu'une large politique de dépistage est inévitable à l'avenir. Mais elle doit être menée de façon intelligente. Le ministère a déjà renforcé ses capacités de tests. 

"Nous avons plus de 14 laboratoires opérationnels et une capacité de 3.550 tests par jour et nous allons monter à une capacité de 10.000 tests jour bientôt", déclare le directeur de l'épidémiologie. Ce dernier avance que le ministère envisage de renforcer davantage ses capacités de dépistage. "Nous attendons le lancement d'un test rapide dont l'efficacité est prouvée".

Les intervenants insistent sur le fait que l'application vient en appui au dispositif existant de suivi des contacts, dont les conditions d'efficacité sont : 

-      Le respect strict des recommandations des autorités sanitaires est nécessaire (hygiène, masque sanitaire, distanciation physique .... )

-      Des équipes de suivi des contacts sont nécessaires pour conseiller et prendre en charge les contacts notifiés

-      Mobilisation des capacités de tests et logistique y afférente

-      Large adoption de l'application

Depuis plusieurs jours, les nouveaux cas déclarés quotidiennement sont issus de clusters ou foyers familiaux et professionnels. Les foyers de contamination dans le milieu professionnel font exploser les compteurs car ils se nichent dans des usines ayant des employés par centaines

Ce lundi 11 mai, le ministère de la santé a annoncé 218 nouveaux cas dont 196 ont été détectés à travers le suivi des cas contacts, soit un taux de 90%. Tous les nouveaux cas ont été découverts dans des clusters qui continuent à révéler des contaminations.

Ces clusters sont aujourd'hui un vrai défi auquel font face les autorités sanitaires. Quid alors de l'utilisation de l'application de façon obligatoire dans les milieux professionnels à haut risque comme des usines employant un grand nombre d'ouvriers ?

La question a été posée aux intervenants qui ont apporté une réponse peu précise. "Ceci est la première version. Il y en aura une deuxième. Si elle peut apporter des solutions aux employeurs, nous sommes ouverts pour les accompagner dans leurs démarches", répond le gouverneur Abdelhak Harrak. 

 

Lire aussi :

- Application de traçage des contaminations: réaction officielle de la CNDP

- Covid-19: Le Maroc va lancer une application de traçage des contaminations

- Covid-19: Les enjeux et les limites des solutions de traçage numérique

 

12.05.2020 - Entretien. La CNDP restera en veille contre tout risque lié à l'appli Wyqaytna

Par Rédaction Médias24[2]

La CNDP a autorisé dimanche la nouvelle application Wyqaytna, destinée à accompagner la lutte du ministère de la Santé contre le Covid-19, en permettant des alertes précoces destinées aux cas contacts après un diagnostic positif. Avec Omar Seghrouchni, président de la CNDP, Médias24 va plus loin que la simple autorisation. Focus sur la mue de la CNDP, ainsi que le dispositif mis en place par elle pour veiller en permanence à la conformité de l'application avec les hypothèses de base et avec les objectifs de protection des données à caractère personnel. L'objectif est de circonscrire les risques et de protéger les usagers. La gestion de cette crise accélère l'évolution de la CNDP et place de sa mission au centre de l'intérêt du public.

·     Médias24 : Vous venez de livrer votre avis autorisant l’appli de notification des contaminations Wyqaytna. Est-ce que la CNDP n’a pas tardé dans l’instruction de ce dossier alors qu’il s’agit d’une urgence ?

Omar Seghrouchni : La loi nous donne un délai de deux mois et quand c’est compliqué, deux mois supplémentaires.

Au vu de l’urgence, nous avons travaillé au pas cadencé, nous sommes entrés dans les détails, sachant quelle était l’importance de l’application et connaissant l’intérêt qu’elle suscite au sein de l’opinion.

Nous avons réuni la commission dimanche car le ministère désirait communiquer lundi et il fallait que l’on donne notre avis avant.

·     L’on s’attendait à la présence de la CNDP au cours de la téléconférence avec la presse lundi.

A mon sens, cela ne rimait à rien. Nous n’avons pas développé le système. Et nous sommes indépendants de la communication gouvernementale.

Nous sommes un tiers de confiance et nous entendons jouer notre rôle par la communication que nous allons faire de manière indépendante.

·     On a l’impression que cette année va marquer comme un palier dans l’action de la CNDP…

En fait, il y a deux catégories de pays.

Les pays pour lesquels il y a eu un acte fondateur qui a créé la doctrine de la protection des données à caractère personnel. C’est l’exemple de la France, avec le fichier Safari et le fichage qui avait créé un émoi et abouti à la création de la CNIL en 1978.

La deuxième catégorie, ce sont les pays qui ont adopté des lois pour se conformer aux standards internationaux.

Le Maroc fait partie de cette deuxième catégorie et effectivement, il est possible que l’acte fondateur pour la problématique de la protection des données, dans notre pays, soit cette gestion que nous avons tous ensemble de la crise du Covid-19.

Nous nous sommes mis en ordre de marche pour prouver que l’urgence, quelle qu’elle soit, peut être gérée en respectant le droit.

·     Vous avez publié un avis sur l’application de la DGSN ainsi qu’un communiqué le 16 avril sur le projet Wyqaytna… Est-ce que cette crise que nous vivons vous a donné beaucoup de travail ?...

Il y a eu l’autorisation à la CNSS d’assurer le versement des indemnités forfaitaires. Nous avons travaillé avec l’Association marocaine de la relation client sur un ensemble de problématiques. Nous sommes en train de travailler sur les problématiques de télémédecine, sur les gestions de courrier… Oui, nous avons différents chantiers liés à la crise.

Et nous nous sommes mis en ordre de marche pour prouver que l’urgence, quelle qu’elle soit, peut être gérée en respectant le droit.

·     L’Etat doit se dire “heureusement que la CNDP est là“, pour renforcer la confiance numérique…

J’espère… Mais nous faisons partie de l’Etat. Nous faisons partie des dispositifs que le Maroc a mis en place pour veiller à la protection des données à caractère personnel de ses citoyens. Nous ne sommes pas en antinomie avec l’Etat.

·     J’imagine que vous avez beaucoup de tâches à accomplir dans l’urgence…

Nous nous sommes mobilisés et organisés en télétravail, nous avons des journées qui commencent très tôt et se terminent très tard, on ne s’en plaint pas.

Nous sommes heureux d’avoir la possibilité d’être utiles. Certains de nos collaborateurs travaillent le week-end également. Nous sommes heureux d’assurer notre mission avec passion.

·     Vous allez rester en veille pour cette application. C’est une première semble-t-il…

C’est une première d’avoir organisé cette veille d’une manière aussi précise avec la mise en place d’un comité ad hoc composé d’experts reconnus sur la place qui vont pouvoir nous aider à regarder les choses dans le détail ; qui vont nous aider à montrer que la confiance numérique est quelque chose qui a un sens concret, pas que des paroles en l’air ou dans des communiqués.

·     Est-ce que le public pourra lancer des alertes au sujet de cette application si l’on constate une dérive ou un bug…

Nous sommes à l’écoute du public. En temps normal, nous recevons les plaintes que nous instruisons.

Pendant cette période, nous sommes organisés pour recevoir les éventuelles plaintes ou même les simples alertes.

·     Est-ce que le code sera publié ? comment sera-t-il accessible ?

Je ne connais pas les modalités d’accès au code.

Tout ce que nous savons, c’est que nous pourrons y accéder. Mais je ne sais pas si tout un chacun sera en mesure de le faire. Nous serons un soutien, un tiers de confiance, envers qui le citoyen pourra signaler son inquiétude le cas échéant, et nous pourrons vérifier tel ou tel aspect signalé.

·     Qui composera ce comité de veille ?

Les noms seront rendus publics dans les jours qui viennent.

Nous avons reçu hier soir [ndlr : lundi] les premiers accords de personnes pressenties. Nous pensons être en ordre de marche dans quelques jours.

·     Vous l’avez autorisée sur la base d’un certain nombre d’hypothèses qui ont été présentées par l’équipe projet. Vous allez donc devoir vérifier constamment dans cette veille que ces hypothèses sont toujours valables...

Dans tout dossier, une autorisation est associée aux hypothèses qui ont été présentées au moment de son instruction. S’il y a un changement d’hypothèses, c’est que c’est un nouveau dossier et il faudrait alors renouveler le process d’instruction.

·     Vous avez autorisé le traçage, mais pas le tracking…

Le tracking, c’est lorsqu’on identifie la localisation, par exemple, par GPS d’un téléphone, et le tracing, c’est lorsqu’il y a un échange, on va dire de civilités, entre deux téléphones et on sait alors que les deux personnes portant le téléphone se sont croisées. Mais on ne saura pas forcément à quel endroit.

Les données resteront anonymes. Ce sont les assurances qui nous ont été données.

La seule donnée nécessairement collectée est le numéro de téléphone. Et ce numéro est crypté. Personne n’y accède et il est utilisé seulement au moment où il faut envoyer une alerte de contamination potentielle. Les autres données ne sont pas toutes nécessaires.

·     Comment allez-vous procéder si vous découvrez une faille ou une dérive ?

Nous commencerons alors par alerter les concernés, nous communiquerons dessus. La confiance numérique se base sur une nécessaire transparence, nous devons partager nos erreurs pour mieux les corriger.

·     Vous êtes en train de nous dire : allez-y, nous nous portons garants au vu des hypothèses…

Non, nous sommes en train de vous dire : au vu des hypothèses, nous pensons que c’est bon et qu’en plus de cela, nous resterons en veille. Si jamais il y a un décalage avec les hypothèses, nous le dirons.

·     La CNDP a créé deux comités. Y a-t-il un lien avec la crise actuelle ou bien a-t-elle simplement accéléré le processus ?

Le premier comité, “ Stratégie pour une Confiance numérique et une éthique digitale“ a été pensé bien avant la crise. Son objectif est de réfléchir à une stratégie qui assurera que la protection des données ne doit pas ralentir l’émergence d’une économie numérique.

Avec des gens reconnus sur la place, nous allons réfléchir sur cette problématique pour faire en sorte que l’économie digitale ne se transforme pas en farwest sans foi ni loi.

L’idée du second comité, “Confiance Numérique Opérationnelle“, a émergé avec la crise et par la volonté de suivre cette application au-delà de nos seules compétences juridiques mais en nous dotant et en renforçant nos compétences techniques par des experts de la place.

·     Les deux comités commencent quand leur travail ?

Le deuxième dans les jours prochains. Le premier dans le mois à venir.

·     Au vu de toute cette évolution, il faudra peut-être changer de nom, il ne faudra plus faire seulement référence à la protection des données personnelles. Vous êtes plus largement une instance pour la confiance numérique.

Pourquoi pas ? Nous pensons que notre rôle, c’est d’aller au-delà de la vision donnée. Cette dernière ne couvre pas tous les dangers que les citoyens peuvent encourir au niveau de l’écosystème numérique.


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