Par ailleurs, ce qui n’arrange rien, son Comité exécutif n’est pas des plus actifs, sans compter les enjeux économiques et donc politiques que représente la santé pour des pays comme les USA.
Pour y voir clair, je vous propose trois (3) documents qui traitent de l’OMS, son origine, son financement et sa situation dans le conflit indirect entre les USA et la Chine, dont la raison est en grande partie dans leur concurrence commerciale qui ne risque pas de s’arrêter avec le Covid 19.
Le quatrième document concerne le communiqué des associations marocaines ALCS, AMDH et ITPC Mena qui dénoncent la décision prise par anticipation par le laboratoire américain GILEAD qui interdit « aux génériqueurs nationaux de produire les traitements anti-COVID-19 ». Une manière qualifiée d’abusive pour capter le « bénéfice financier » que pourrait générer la vente de ce produit s’il devait s’avérer efficace.
L'OMS, terrain d'affrontement entre puissances mondiales en pleine crise du Covid-19
04.05.2020 - Sara Saidi [1]
La Chine est soupçonnée d'influencer les décisions d'une organisation où les stratégies ont cependant toujours existé.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a pour objectif d'œuvrer à la santé mondiale et de coordonner les actions entre les pays. Or elle est critiquée dans sa gestion de la crise sanitaire, notamment par les États-Unis qui lui reprochent une trop grande complaisance avec la Chine (RPC). En effet, son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a plusieurs fois loué les efforts et l'efficacité de Pékin et serait donc pour certain·es à la solde de la puissance chinoise.
« Si l'OMS avait fait son travail pour
faire venir des experts médicaux en Chine, pour évaluer objectivement la
situation sur le terrain et pour dénoncer le manque de transparence du pays,
l'épidémie aurait pu être contenue à sa source avec très peu de morts », a affirmé Donald Trump le 14 avril. Le
président américain a ainsi annoncé la suspension de la contribution américaine
à l'Organisation mondiale de la santé, soit 20% de son budget. Ce n'est pas
la première fois que les États-Unis retirent leur contribution, ils l'avaient
déjà fait en 1985 pour protester notamment contre la mise en valeur par
l'OMS des médicaments génériques, explique Chloé Maurel historienne,
spécialiste de l'ONU, autrice de Histoire des idées des Nations Unies,
dans un article de The Conversation.
« C'est une forme de pression faite sur le directeur de l'OMS pour revenir à un comportement moins politisé. Ce à quoi il réplique en appelant à moins de politisation de la pandémie », fait remarquer Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale à l'université de Genève. Or le retrait des États-Unis permet au contraire à la Chine de s'imposer davantage. Pékin, qui a versé 20 millions de dollars à l'OMS le 11 mars, a annoncé le 23 avril vouloir verser 30 millions supplémentaires pour aider les pays en développement à lutter contre le Covid-19, faisant ainsi figure de sauveur.
« Il y a comme une nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine », affirme Chloé Maurel. Une guerre froide qui a lieu dans un contexte de crise sanitaire mondiale et au sein d'une organisation internationale censée promouvoir le dialogue et la coopération entre ses 194 États membres.
À lire aussi : Le retrait du soutien financier des États-Unis à l'OMS, une manœuvre politique dangereuse
· Pékin veut asseoir son influence
Car la Chine pratique le soft power afin d'avoir de plus en plus de poids au sein de l'organisation internationale, alors même qu'elle est accusée d'avoir minimisé voire dissimulé certaines données sur l'épidémie. Certain·es estiment qu'elle joue de son poids économique en Éthiopie afin d'influencer le directeur général de l'OMS en sa faveur. En effet, Pékin investit massivement dans le pays africain, au point d'en être le premier partenaire commercial. Enfin, la candidature de l'Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus en 2017 était également appuyée par la Chine.
« Pendant la Guerre froide, les États-Unis et l'URSS ont rivalisé d'influence à l'OMS, mais cela a pu avoir des effets bénéfiques car l'URSS a activement promu la lutte contre la variole, impulsant une grande campagne d'éradication de la maladie, qui a abouti avec succès en 1980 », explique Chloé Maurel.
« Et les États-Unis se sont concentrés sur la lutte contre le paludisme, ce qui les arrangeait économiquement car cela leur permettait d'écouler en Afrique le DDT [un insecticide, ndlr] qu'ils produisent », ajoute-t-elle. Aujourd'hui, en pleine crise sanitaire, cette guerre d'influence affaiblit l'Organisation mondiale de la santé.
La stratégie mise en place par la Chine prive par exemple l'OMS d'informations essentielles sur la gestion de la crise à Taïwan, État non reconnu par l'ONU : « C'est seulement depuis 1972 que la République populaire de Chine est membre de l'OMS. Avant, c'était Taïwan qui avait le siège de la Chine. De 2009 à 2016, Taïwan a eu le statut d'observateur à l'OMS. Depuis 2016, la République populaire de Chine s'y est opposée car la nouvelle présidente de Taïwan est indépendantiste. L'île n'est plus représentée à l'OMS. Or elle a remarquablement bien géré la crise du coronavirus. Tout cela suscite des tensions géopolitiques », explique Chloé Maurel.
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· Une guerre d'influence à l'OMS
Pour la Dr Anne Sénéquier, codirectrice de l'Observatoire de la santé mondiale, l'OMS est un terrain de luttes d'influence entre États, chacun essayant d'imposer son agenda et sa priorité en fonction de ses moyens : « Tous les pays n'ont pas les mêmes attentes, cela dépend de leur système de santé », précise la chercheuse.
Les pays les plus pauvres de la planète sont aussi ceux qui ont le plus besoin de l'expertise de l'OMS « et les pays les plus riches sont ceux qui critiquent le plus l'organisation », ajoute Antoine Flahault. Or, l'OMS est une organisation intergouvernementale, chacun de ses membres est doté d'une voix à l'Assemblée mondiale de la santé.
Pour faire entendre sa voix, il faut former des alliances. Chaque membre cherche donc des soutiens, c'est ainsi que se forment des coalitions. « La Chine, si elle veut jouer un rôle central, doit trouver des voix qui la soutiennent. Comme en Afrique il y a des voix à glaner, c'est de bonne guerre d'aller les chercher », explique le Pr Antoine Flahault.
Que la Chine cherche à augmenter son poids dans l'organisation ne fait aucun doute, mais selon Anne Sénéquier, l'Organisation mondiale de la santé n'a elle pas d'autre choix que de « jouer le jeu de la diplomatie » : « L'OMS a besoin de maintenir une bonne communication et une coopération avec la Chine pour obtenir des informations sur le virus. Lors du SRAS, l'opacité de la Chine était très importante. Quand l'OMS dit merci au pays, c'est aussi parce qu'il fallait signifier le progrès ». Par ailleurs, «la Chine est le fournisseur officiel de masques et de gants de la terre entière », rappelle Anne Sénéquier.
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· Un pilote dans l'avion
La faiblesse de l'OMS vient plutôt du fait qu'elle n'a aucun pouvoir coercitif, elle ne peut que faire des recommandations, libres aux États membres de les suivre ou pas. Par ailleurs, si elle n'a pas tout de suite envoyé des experts en Chine, c'est parce qu'elle est obligée d'avoir l'accord de l'État hôte : « Si on veut une OMS plus forte, il faut lui donner plus de pouvoir », affirme Anne Sénéquier.
Cette diplomatie non contraignante est une volonté des États membres, car elle leur permet d'éviter toute ingérence dans leurs affaires nationales. Mais cela entraîne une désorganisation et des politiques individuelles qui ne favorisent pas la lutte contre un virus mondial. Pour Antoine Flahault, avant de critiquer l'OMS, les États membres devraient « d'abord balayer devant leur propre porte ».
Il s'étonne que ces États n'aient pas convoqué le conseil exécutif de l'OMS. Cette instance composée de trente-quatre États membres est chargée d'administrer l'organisation. « Le conseil exécutif peut demander des comptes au directeur et peut, par exemple, lui demander d'envoyer une mission à Taïwan », explique-t-il. Avant de faire remarquer que le Conseil de sécurité de l'ONU, chargé de maintenir la paix et la sécurité internationale, ne s'est pas réuni non plus depuis le début de la crise. « La question est de savoir si les États membres veulent réellement un pilote dans l'avion », s'interroge-t-il.
Qui finance l'OMS ?
L'Organisation mondiale de la santé, dont le budget pour 2020 et 2021 est de 5,8 milliards de dollars, est financée à la fois par des Etats et des organisations. Et il pourrait grandement diminuer si les Etats-Unis retiraient l'intégralité de leurs financements, comme l'a esquissé Donald Trump.
Réponse à la question posée par Benoît le 15.04.2020
(…) Le 15 avril 2020, le président américain a annoncé, lors d’une conférence de presse à Washington, qu’il suspendait la contribution des Etats-Unis à l’OMS. Il a en effet accusé à plusieurs reprises l’institution de « mauvaise gestion et de dissimulation de la propagation du coronavirus », comme dans cette vidéo twittée par la Maison Blanche.
Il a également indiqué que cette suspension de la contribution allouée par les Etats-Unis à l’OMS perdurerait le temps d’évaluer le rôle de l’OMS dans la gestion de la pandémie. Il reproche l’indulgence de l’organisation internationale à l’égard de la Chine et des mesures prises pour endiguer le Covid-19.
L’OMS a déclaré «regretter cette décision», et son directeur, l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, a indiqué qu’ils allaient étudier l’impact de la décision américaine et les moyens de la compenser. La France a employé les mêmes mots et affirmé «espérer un retour à la normale», l’Allemagne a également dénoncé la décision de Washington et Moscou l’a qualifiée «d’approche très égoïste».
Ils ont cependant été plusieurs à interroger la gestion de la pandémie par l’OMS. Lors d’une audition devant la commission des Affaires étrangère, Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangère, a déclaré : «Il y a sans doute des choses à dire sur le fonctionnement de l’OMS, peut-être un manque de réactivité, d’autonomie par rapport aux Etats, peut-être un manque de moyens de détection, d’alerte et d’information, de capacité normative.» Les dirigeants du G7 ont pour leur part appelé le 17 avril à un examen et une réforme de l’OMS.
Contributions fixées et volontaires
L’OMS est une institution basée à Genève (Suisse), qui existe depuis 1948 et dépend directement de l’Organisation des Nations unies (ONU). Son rôle est de promouvoir et veiller à la santé publique dans le monde en mettant en place des règles sanitaires et des lignes directrices. Elle stimule la recherche par la mise au point de protocoles, par exemple. Le rôle de l’OMS est également d’apporter de l’aide aux pays dans le but de favoriser l’accès de tous aux services de santé.
La politique de l’OMS est déterminée par un « budget programme » défini sur une période de deux ans. Celui pour la période 2020-2021 a été voté en mai 2019 par l’Assemblée mondiale de la santé qui regroupe les pays membres de l’OMS.
Le budget programme 2020-2021 s’élèvera à 5,840 milliards de dollars américains (soit 5,365 milliards d’euros), selon le texte de la résolution (page 2). Qui prévoit aussi les principaux postes de dépense de ce budget : le programme de couverture sanitaire universelle, les frais de fonctionnement de l’organisation et divers programmes de santé comme celui contre la poliomyélite.
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Dans ce même document, on apprend que le budget est partagé entre les contributions fixées pour les Etats membres, qui représentent presque 20% du budget de l’OMS (environ un milliard de dollars), et des contributions volontaires, pour les 80% restants.
Concernant le milliard de contributions fixées, chaque Etat membre verse un pourcentage de la somme totale. Cette part est calculée «en fonction de la fortune et de la population du pays», peut-on lire sur le site internet de l’organisation. Les cinq premières contributions fixées pour le budget programme 2020-2021 sont celles des Etats-Unis (22%), de la Chine (12%), du Japon (8,6%), de l’Allemagne (6,1%) et du Royaume-Uni (4,6%). La France est en sixième position (4,4%), comme le montre ce barème des contributions adopté par la 72e assemblée.
Cela représente, par exemple pour les Etats-Unis, un versement de 115,8 millions de dollars américains (environ 106 millions d’euros) en 2020, et autant pour 2021, comme indiqué dans ce tableau avec la somme due par tous les autres membres.
Les Etats-Unis, également premiers contributeurs volontaires
Les contributions volontaires, quant à elles, peuvent être versées par des Etats membres mais aussi par des organisations internationales, des organisations non gouvernementales, des acteurs publics ou privés. Elles représentent donc près de 80% du budget de l’OMS.
Les derniers chiffres disponibles sont ceux de l’année 2018, première année du précédent budget programme biennal (2018-2019). Les Etats membres sont les principaux contributeurs volontaires, ils apportent 52% de la somme totale (environ 1,2 milliard de dollars américains, soit 1,1 milliard d’euros pour l’année 2018). Les Etats-Unis sont aussi le premier contributeur volontaire, à hauteur de 281 millions de dollars (environ 260 millions d’euros), d’après ce récapitulatif.
Dans ce même document, le second contributeur volontaire – et premier contributeur non étatique – est la Fondation Bill-et-Melinda-Gates, qui a apporté 229 millions de dollars américains (soit 211 millions d’euros).
On ne sait pas encore quelle partie de leur contribution, fixée ou volontaire, les Etats-Unis vont retirer. Au 31 mars 2020, selon les documents de l’OMS, Washington devait toujours verser sa contribution fixée de 115 millions de dollars américains au titre de l’année 2020, plus un rattrapage des impayés des années précédentes de 80 millions de dollars.
De plus, les Etats-Unis contribuaient également à un plan lancé par l’OMS contre le Covid-19, en février. Au 9 avril, ils avaient envoyé 15 millions de dollars américains, écrit l’OMS sur cette page.
L’évaluation par les autorités
américaines du rôle de l’OMS dans la gestion de la pandémie doit prendre
« entre 60 et
90 jours », a estimé le président dans son annonce.
Article rédigé par Théo Boscher et Bessma Sikouk, journalistes en formation à l’ESJ Lille, dans le cadre d’un partenariat avec CheckNews. Il sera également publié sur le site de la 95e promotion de l’école, Rue des confinés.
Comment la santé est devenue un enjeu politique mondial
23.04.2020 - Xavier Mauduit, Anne-Toscane Viudes et Milena Aellig[3]
Histoire | Le 14 avril dernier, Donald Trump a annoncé sa décision de suspendre la contribution financière américaine à l'OMS, reprochant à l'organisation internationale des erreurs dans la gestion de la pandémie de Covid-19 et de s'être alignée avec la politique de Pékin. Si la décision étonne en ces temps de crise sanitaire mondiale, elle nous rappelle que le champ de la santé a toujours été une source de tensions scientifiques, diplomatiques et politiques importantes entre les nations. Comment la santé est-elle devenue le premier domaine à faire l'objet de politiques communes à l'échelle internationale ?
Des premières conventions sanitaires à la création de l'OMS en 1948, ce sont les épidémies et les guerres qui ont convaincu les grandes puissances de la nécessité de mettre en place des institutions et des politiques internationales de santé publique. Pourquoi cette nécessité s'est-elle imposée dès le XIXe siècle ? Comment les différents Etats en présence sont-ils parvenus à un consensus autour de ces questions, jusqu'à aboutir à notre système actuel ?
Xavier Mauduit, producteur de l'émission " Le cours de l'histoire", a posé ces questions à Sylvia Chiffoleau, directrice de recherche en histoire contemporaine au CNRS, et auteure de « Genèse de la santé publique internationale. De la peste d’Orient à l’OMS », paru en 2012 aux Presses Universitaires de Rennes/Ifpo.
Xavier Mauduit : Quelle est la genèse des institutions internationales de santé publique que nous connaissons aujourd'hui ?
Sylvia Chiffoleau : Avant qu'il n'y ait des institutions pérennes à proprement parler, il y a eu un premier mouvement d'expériences : les conférences sanitaires internationales.
L'institutionnalisation elle-même est tardive, date du début du XXe siècle, mais le processus de mise en place d'une réflexion commune internationale sur la santé est antérieur et date de 1851, date de la première de ces conférences.
XM : Qui est à l'origine de ces espaces de discussion sur les questions sanitaires, qui se créent justement au moment des épidémies de choléra au XIXe siècle ?
SC : Les puissances européennes en ont à l'initiative, surtout la France et la Grande-Bretagne, qui ont toutes deux développé, dès le tournant du XVIIIe siècle, une importante réflexion scientifique. Ces puissances expriment à la fois leur volonté de gérer les questions de santé, dans une optique sécuritaire, notamment en se protégeant du choléra dès l'épidémie de 1832 et de la fièvre jaune ; et leur souhait de ne pas contrarier l'essor du commerce international. Il s'agit de gérer à la fois la sécurité sanitaire et l'expansion de cette liberté de circulation.
À voir aussi : À l'origine de la santé publique : les épidémies
XM : Au XIXe siècle, nous assistons à un changement d'échelle : il s'agit de connaître les routes des épidémies.
SC : En effet, on sait depuis le Moyen-Âge que les épidémies entrent par les ports, et que c'est la circulation des hommes et des marchandises qui diffuse les maladies. Si ce n'est qu'après les travaux de Pasteur qu'on comprend le mécanisme de la contagion, on sait bien avant cela que les épidémies circulent avec les transports. Mais au XIXe siècle, le système de quarantaine qui était de mise depuis le XIVe siècle commence à être considéré comme dépassé et handicapant pour la circulation des marchandises et des hommes. Il faut donc essayer d'alléger ces dispositifs d'éloignement des maladies. On va alors essayer d'agir au plus près de l'origine des maladies, c'est à dire en Orient, où l'on va tenter de construire des barrières efficaces pour, à terme, diminuer la pression sur les ports européens.
XM : Dans le débat autour de la santé publique, il y a de la géopolitique. En 1873, Adrien Proust publie son traité sur l’hygiène internationale et évoque les "peuples mercantiles", notamment les Anglais. Comment expliquer cette tendance britannique à freiner le système ancien de la quarantaine ?
SC : Pour des raisons idéologiques, qui sous-tendent leur développement commercial, les Anglais sont anti-contagionnistes. Certains pays d'Europe, notamment au sud, et de fait particulièrement exposés, sont contagionnistes et font le pari que les épidémies circulent et qu'il faut s'en protéger par des barrières. A l'inverse, les Anglais, puissance commerciale et maritime, misent sur l'anti-contagionnisme, et affirment que les épidémies ne sont pas contagieuses mais sont présentes dans l'environnement et découlent d'une mauvaise hygiène : il suffirait alors d'assainir les villes.
XM : Peut-on affirmer que le discours sanitaire du XIXe siècle est également un discours politique ?
SC : Oui, et il est encore renforcé par les concurrences coloniales qui vont parasiter un système international qui peine à se mettre en place. En 1851, on est à un moment où la France et la Grande-Bretagne s'entendent relativement bien mais les choses vont ensuite se compliquer, notamment suite aux concurrences coloniales entre les deux puissances, et à l'ouverture du canal de Suez. Les Français militent pour qu'il y ait une bonne protection sanitaire autour de cet espace, là où les Anglais veulent totalement libérer la circulation sur canal. Ces enjeux sanitaires trahissent des enjeux politiques, puisque la France est très hostile à la mise sous domination coloniale de l'Egypte par l'Angleterre.
XM : La concurrence est donc scientifique mais aussi politique. Et ces premières conférences sanitaires sont agitées par ces débats, notamment autour de la question du pèlerinage à la Mecque ?
SC : Ici, le consensus va se faire au détriment des pèlerins. En 1865, c'est le retour des pèlerins qui entraîne une épidémie de choléra, et ce mouvement d'externalisation de la barrière de protection qu'on cherchait à imposer à l'Orient pour libérer l'Europe des épidémies va trouver une justification avec cette nouvelle épidémie de choléra. Les pèlerins sont alors identifiés comme un groupe à risque, et les premiers accords des conférences internationales vont se faire sur ces questions-là, sur des tiers espaces et sur des tierces populations, plutôt que sur des politiques européennes.
À écouter aussi : Les bouleversements du pèlerinage à La Mecque à l'époque coloniale
XM : Quel regard a été porté par ces pèlerins, et plus généralement par les habitants de l'empire ottoman, sur les Européens et leurs initiatives pour endiguer les épidémies ?
SC : Il y a là une ambiguïté. La médecine occidentale, qui a pénétré dans ces régions dès le début du XIXe siècle, a été bien accueillie, notamment car elle a la même généalogie que la médecine arabe. L'empire ottoman était pourtant réceptif à l'idée de réformes sanitaires. Mais la mise place d'un système sécuritaire, d'une "barrière sanitaire" imposée par les Européens, en faisant primer la lutte contre la propagation des épidémies sur une médecine de santé publique, va changer la donne. Cette confiscation de sa souveraineté sanitaire va conduire l'empire ottoman, dès 1914, à mettre un terme à la pression qui s'exerce sur lui et à affirmer sa volonté de conduire sa propre politique sanitaire.
XM : Après la Première Guerre mondiale, une discussion se met en place entre les nations pour construire la paix. Est-ce un moment charnière pour la mise en place d'institutions internationales de santé publique ?
SC : Cette mise en place puise ses origines dans les conférences sanitaires internationales du XIXe siècle. Celle de 1873 avait déjà prévu de fonder une institution pérenne, qui ne sera fondée qu'en 1907 : ce sera l'OIHP, l'Office International d'Hygiène Public, dont le siège est à Paris et qui est la première instance internationale de santé publique. L'après-guerre va, avec le système de la SDN, faire naître une seconde institution, l'Organisation d'Hygiène de la SDN. Le paradoxe est qu'il va y avoir deux institutions internationales pour gérer le seul domaine de la santé, mais à partir de là, c'est un tout nouveau système institutionnel qui se met en place.
XM : L'OMS est créée en 1948, l'Organisation d'Hygiène de la SDN est née après la Première Guerre mondiale... Ces guerres mondiales peuvent-elles être considérées comme des moments de prise de conscience ?
SC : L'OMS est créée dans le nouveau contexte de l'ONU, mais elle est l'héritière de tout ce qui a précédé, des conventions sanitaires du XIXe siècle - adoptées dès 1892 - aux institutions elles-mêmes, qui seront refondues au sein de l'OMS. Il y a donc une généalogie de la santé publique internationale, qui désormais se joue dans le cadre de l'OMS, mais qui est l'héritière de tout ce qui l'a précédée depuis le XIXe siècle.
À écouter : Santé publique (3/4) : Santé Publique et colonisation
XM : L'OMS est-elle un véritable tournant dans l'histoire de la santé publique internationale ?
SC : Oui, c'est un tournant, un aboutissement, mais c'est surtout une institution qui va devoir gérer un monde radicalement différent, dans lequel le contexte asymétrique qui dominait jusqu'alors n'a plus lieu d'être. Cette puissance mieux partagée ne facilite pas les consensus.
XM : Donald Trump a annoncé suspendre la contribution financière des Etats-Unis à l'OMS, alors même que nous traversons une crise sanitaire mondiale. Quand l'historienne que vous êtes prend connaissance de cette actualité, quel est votre regard ?
SC : Cela apparaît comme une mesure aberrante, même si l'OMS fait l'objet de critiques récurrentes. Cela est sidérant de mettre un terme à un processus dont on sait qu'il est indispensable pour faire fonctionner le système international, et notamment pour endiguer les épidémies, malgré ses défauts.
À écouter : OMS : pourquoi tant de critiques ?
Maroc : Les génériqueurs nationaux interdits par le laboratoire américain GILEAD de produire les traitements anti-COVID-19
Communiqué de presse conjoint ALCS – AMDH – ITPC-MENA (*)
Casablanca le 13 mai 2020
Les génériqueurs nationaux interdits par le laboratoire américain GILEAD de produire les traitements anti-COVID-19 : Les associations appellent au recours aux licences d’office.
Le 12 mai 2020, le laboratoire américain Gilead a annoncé avoir accordé des licences volontaires à cinq génériqueurs d’Inde et du Pakistan pour produire et vendre des versions génériques de son médicament remdesevir actuellement testé contre le COVID-19. De fait, les génériqueurs marocains ne pourront pas produire localement le médicament s’il s’avère efficace, d’autant plus que ce dernier est protégé dans notre pays par un brevet d’invention au moins jusqu’en 2031. L’ALCS, l’AMDH et ITPC-MENA demandent au gouvernement marocain l’émission de licences d’office sur tous les médicaments et technologies susceptibles de traiter le COVID-19.
« Même si le Maroc figure parmi les pays pouvant être approvisionnés par cette licence, la décision de Gilead n’est pas une bonne nouvelle pour notre pays, a déclaré Dr Othoman Mellouk, expert en propriété intellectuelle et de l’accès aux médicaments et fondateur d’ITPC-MENA. Si les essais du remdesevir s’avèrent concluants, une riposte nationale efficace contre la pandémie nécessitera une production locale. La dépendance de sources étrangères d’approvisionnement en temps de crise sanitaire mondiale ne se fera pas sans problèmes comme on l’a vu avec les saisies de produits de santé en transit dans de nombreux pays, ou encore avec les masques de protection… Ce qui nous a sauvé et qui a hissé le Maroc au rang d’exemple à suivre c’est que nous avons été rapides à produire ce dont nous avions besoin localement ».
Développé par Gilead initialement contre le virus d’Ebola, le remdesevir est aujourd’hui également testé contre le COVID-19. Au Maroc, ce médicament est protégé par un brevet (MA35665) accordé par l’OMPIC, qui expire en 2031. Un autre brevet abusif visant à prolonger la durée de protection a également été déposé par Gilead et est actuellement en cours d’examen (EP16770866). Si ce dernier est accordé, la durée de protection sera étendue jusqu’en 2036. Certes, l’obtention d’un brevet garantit au détenteur le monopole sur le marché jusqu’à expiration, cependant le gouvernement a le droit, conformément aux accords internationaux (flexibilités de l’accord ADPIC de l’OMC confirmées par la déclaration de Doha par les pays membres) et à la loi nationale, de suspendre cette protection pour des raisons de santé publique et d’autoriser une production nationale. C’est ce qu’on appelle les « licences d’office ».
« Nous demandons au gouvernement d’appliquer immédiatement l’article 67 de Loi n°17-97 relative à la propriété industrielle relatif aux licences d’office au brevet du remdesevir, mais également à tous les produits de santé (médicaments, tests, technologies) susceptibles d’être nécessaires à la riposte au COVID-19. Cette mesure permettra à l’industrie nationale de se préparer pour répondre aux besoins nationaux en temps et en heure », a déclaré le Pr Mehdi Karkouri, président de l’ALCS.
En effet, l’article 67 de cette loi prévoit l’octroi de « licences d’office » pour des produits pharmaceutiques à travers un acte administratif, à la demande de l’autorité en charge de la santé publique. Cette disposition s’applique lorsque des médicaments ne sont pas disponibles en « quantité́ ou qualité́ suffisantes » sur le marché, ou parce que le prix est « anormalement élevé́ ». Il est à noter, qu’aucune négociation avec le détenteur du brevet n’est requise pour de telles licences. Cette disposition de loi permet de répondre aux besoins nationaux mais peut également être utilisée dans le but d’exporter des médicaments dans des pays qui n’ont pas les capacités de production suffisantes. Ainsi, le Maroc pourrait venir en aide aux plusieurs pays qui sont exclus de la licence de Gilead, pour beaucoup même en l’absence de brevet. L’industrie nationale pourrait également bénéficier d’un marché plus large contribuant à des prix plus abordables. Les trois associations invitent également les sociétés qui fabriquent des médicaments génériques marocains à assumer leurs responsabilités et à démontrer leur sens national face à cette pandémie mondiale.
« Dès que les résultats des différents essais cliniques en cours seront confirmés, la demande mondiale sur les médicaments avérés efficaces va exploser. Il est peu probable que cinq génériqueurs puissent répondre seuls à une telle demande. Qu’est ce qui garantit que le Maroc sera priorisé ? Quels prix seront imposés au Maroc ? Que se passera-t-il si un pays producteur ou de transit décide de réquisitionner toute la production pour répondre d’abord à ses besoins internes comme a fait l’Inde en mars dernier ? Notre pays doit se préparer à tous les scenarios et faire usage de tous les instruments légaux dont il dispose pour ne pas être pris de court », a conclu Dr. Aziz Ghali le président de l’AMDH.
Contacts presse :
Aissam HAJJI, Chargé de plaidoyer de l’Association pour l’accès au traitement (ITPC-MENA) : aissam.hajji@itpcmena.org
Moulay Ahmed DOURAIDI, Coordinateur national des sections de l’ALCS et responsable de plaidoyer et droits humains à l’ALCS : doura3s2@gmail.com,
Aziz RHALI, Président de l’Association Marocaine des droits Humains (AMDH) : aziz_rhali@yahoo.fr,
[1] http://www.slate.fr/story/190068/covid-19-oms-organisation-mondiale-sante-influence-puissances-mondiales-chine?utm_source=ownpage&utm_medium=newsletter&utm_campaign=daily_20200505&_ope=eyJndWlkIjoiYTI5OWNmODUyYjIzYTNiNzNkYmMzOGJkMzE5YTFlNDAifQ%3D%3D
[3] https://www.franceculture.fr/emissions/radiographies-du-coronavirus/comment-la-sante-est-elle-devenue-une-question-politique-mondiale?actId=ebwp0YMB8s0XXev-swTWi6FWgZQt9biALyr5FYI13OrKiUMVu9NdVw2COrpmx1jG&actCampaignType=CAMPAIGN_MAIL&actSource=581345#xtor=EPR-2-[LaLettre23042020]
(*) https://itpcmena.org/maroc-les-generiqueurs-nationaux-interdits-par-le-laboratoire-americain-gilead-de-produire-les-traitements-anti-covid-19/?fbclid=IwAR1_AqQH19huNQlL_CPg92HB5lHQHgap8y9Y-T62teJNUfH83w9GnbwnSzA
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