19.04.2020
- Hajar Alem[1]
Avant que le virus du Covid-19 ne
vienne s’ajouter
comme donnée préoccupante, la région du Moyen-Orient traversait déjà de
multiples crises à la fois politiques et économiques, et qui pour certaines
sont structurelles. Rappelons qu’un peu moins de cent mille soldats
étrangers — principalement étasuniens — sont stationnés dans la
région, et que l’État d’Israël, n’hésitant plus à intervenir militairement
en Syrie, en Irak et au Liban, réduit méticuleusement toute possibilité de
Palestine.
De fait, des millions de
personnes obligées de fuir les guerres vivent actuellement dans des camps
de réfugiés. Les fractures confessionnelles et les pouvoirs autoritaires
semblent relever du destin inexorable, les acteurs non étatiques tendent
à traduire leur gain militaire en gain politique, et chacun exige sa part du
gâteau alors qu’il n’y a quasiment plus rien à phagocyter. Le Liban
traverse une crise économique sans précédent après des années de politiques
néolibérales menées par une hypothétique « démocratie consociative »
qui n’est en pratique rien d’autre qu’un système basé sur la collusion mafieuse
entre une finance corrompue et une classe politique composée d’anciens chefs de
guerre.
En Irak, l’invasion étasunienne en
2003 avait sciemment détruit l’État sous prétexte de le
« débaathiser » selon la volonté du « proconsul » de
l’époque, Paul Bremer, qui fit adopter une Constitution dans laquelle
les institutions et les citoyens ne sont rattachés à l’État que par
l’appartenance confessionnelle. L’occupation américaine y a provoqué une guerre
civile de plusieurs années et a consacré au pouvoir une élite qui a détourné
des milliards de dollars[1]. Quant à la Syrie, son rêve de
Printemps se transforma en long hiver d’une guerre régionale et
internationale par Syriens interposés, tandis que le Yémen est la
victime des ambitions folles de l’héritier du trône saoudien.
C’est dans ce contexte que la
crise sanitaire du coronavirus a vu le jour : des pays épuisés par les
guerres, des structures publiques quasi inexistantes et des populations
démunies.
·
Quelques
chiffres…
Selon les données de l’OMS,
plus de 1500 personnes ont été infectées en Irak, environ 620 au
Liban, et 320 en Palestine, alors que les statistiques pour la
Syrie et le Yémen sont difficilement vérifiables. Si les chiffres
peuvent sembler dérisoires en comparaison avec l’hécatombe en Occident, la
catastrophe n’en demeure pas moins grande compte tenu de l’état des
institutions sanitaires.
L’Irak a moins de 1,2 lit pour
1000 habitants[2] alors qu’au Liban, les
hôpitaux gouvernementaux et privés disposent seulement de 500 lits dotés
d’équipements respiratoires (ministère de l’Information). Concernant le cas
syrien où officiellement il y a moins de dix cas, un collectif de médecins
a publié une tribune dans Libération dans laquelle est décrite une situation
catastrophique :
« Le système de santé est
sinistré et peu équipé. Il n’y a que 201 lits de soins intensifs et
95 respirateurs disponibles dans tout le Nord-Ouest syrien. Hors soins
intensifs, on comptabilise un lit médicalisé pour 1 363 habitants.
Beaucoup moins que toutes les normes internationales, et moins que les normes
humanitaires. 600 médecins seulement sont présents dans la région pour
4,2 millions de personnes. Soit 1,4 médecin pour
10 000 habitants »[3].
Au Yémen, à l’heure où ces lignes
sont écrites, un seul cas aurait été détecté. Néanmoins, la guerre a détruit
une grande partie du parc hospitalier[4]. Selon Xavier Joubert, directeur de l’ONG
Save the Children au Yémen, il n’y a que « 700 lits disponibles en
unité de soins intensifs et 500 ventilateurs pour une population de quelque 30
millions de personnes »[5].
Ces chiffres montrent l’ampleur
de la fragilité des structures médicales. L’état de décrépitude du secteur
médical n’est, en réalité, que le miroir d’États au bord du gouffre. Dans ce
contexte de manque cruel de moyens, si l’épidémie devenait incontrôlable, des
millions de victimes seraient à craindre.
·
La
malédiction de trop : le cas de l’Irak
La crise sanitaire s’est déclarée
alors que l’Irak traverse l’une des crises les plus graves depuis
l’occupation américaine en 2003. En effet, la période post-guerre
contre l’« État Islamique » (2014-2017) a été marquée par des tensions
intrachiites durant la phase préélectorale en mai 2018.
Se disputaient d’un côté les
factions intégrées aux Forces de Mobilisations Populaires (FMP)[6] estimant leur représentation politique en
deçà de leurs sacrifices, eux qui avaient fait reculer Daech durant
l’été 2014, et de l’autre côté, Moqtada Sadr, fils de l’ayatollah Mohammad
Sadeq al-Sadr exécuté en 1999 par Saddam Hussein[7], qui se considère comme le porte-parole
légitime des franges sociales les plus pauvres en raison de son fort ancrage à
Sadr City et dans le Sud du pays, ainsi que les partis au pouvoir depuis 2005,
notamment le parti Daawa.
Les élections législatives en
mai 2018 consacrent Saeroun, la coalition menée par Moqtada Sadr
et le parti communiste comme les principaux vainqueurs du scrutin. Or,
c’était sans compter sur les jeux des alliances postélectorales qui se font sur
la base d’une répartition des dividendes au sein de l’État. Après des mois de
tractations pour la désignation d’un nouveau Premier ministre, et un été durant
lequel le sud du pays s’est révolté contre le chômage, la pauvreté et le
manque d’infrastructures (notamment un très faible rationnement
électrique), un gouvernement voit le jour en octobre 2018.
Cependant, l’accalmie n’est que
de courte durée. Face à l’incapacité du nouveau Cabinet mené par Adel Abdel
Mahdi à entamer de réelles réformes, des manifestations reprennent en
été 2019, se répandant dans le sud du pays avant d’atteindre Baghdad. La
répression est féroce : plus de six cents morts. Abdel Mahdi est poussé à la
démission alors que Saeroun qui faisait partie de la coalition
gouvernementale prenait part aux manifestations et que certaines factions du Hachd
sont accusées d’avoir participé à la répression. L’Irak semblait donc sur
le point de s’embourber dans un nouvel affrontement interchiites, alors que les
candidats au poste de Premier Ministre se suivaient et échouaient à former un
gouvernement[8]. La vacance de l’exécutif a ainsi conduit l’État
irakien à une paralysie quasi totale.
Dans le même temps,
l’administration Trump adopte une stratégie plus agressive en Irak dans
un contexte de plus en plus tendu entre les États-Unis et l’Iran et d’attaques
multipliées contre des positions du Hachd par Washington et Tel-Aviv.
Le point de non-retour est atteint le 3 janvier 2020, lorsqu’un nouveau
raid américain tuera Qassem Suleimani, commandant de la Force Al Quds (corps
des Gardiens de la Révolution islamique) et Abu Mahdi Al-Mohandis, commandant
militaire du Hachd perçu comme le « héros de la victoire contre
Daech »[9] par l’ensemble des Irakiens.
L’assassinat d’Abu Mahdi est
considéré comme une atteinte grave à la souveraineté du pays par l’ensemble du
spectre politique irakien. En conséquence, le Parlement irakien vote le 5
janvier 2020 une résolution appelant à mettre fin à la présence des troupes
étrangères sur le territoire national, alors que des milliers de personnes
étaient descendues dans les rues pour dénoncer l’assassinat de Suleimani et
Mohandis. Moktada Sadr demande à ses partisans de se retirer des manifestations
antigouvernementales et rejoint les funérailles, exigeant à son tour le retrait
des troupes américaines d’Irak. Ce à quoi le président américain réagit
alors en menaçant de fortes sanctions :
« S’ils nous demandent
effectivement de partir, si nous ne le faisons pas sur une base très amicale,
nous leur imposerons des sanctions comme ils n’en ont jamais vu auparavant »[10].
À la mi-janvier, Washington ira
jusqu’à menacer de restreindre l’accès à l’Irak à ses réserves de change qui
sont conservées à New York, symbole ultime de la subordination de Bagdad.
C’est dans ce contexte que
l’épidémie du Corona s’est déclarée fin février 2020. Le ministre de la Santé a fait
une demande de 5 millions de dollars en urgence pour y faire face et 150
millions supplémentaires pour l’achat de tests et d’équipements médicaux[11]. Or, le gouvernement ne peut toujours pas y
répondre, le nouveau budget n’ayant pas été voté par le Parlement. Les mesures
de confinement ayant aggravé la crise économique, l’Irak qui dépend à plus de
85 % de la rente pétrolière risque de perdre plus de la moitié de ses
revenus[12].
·
Le Liban
en faillite
Le Pays du Cèdre, comme son
voisin mésopotamien, a sombré dans une des plus graves crises économiques de
son histoire. Le modèle économique du pays mis en place durant la
période d’après-guerre repose sur un secteur bancaire dépendant de
l’afflux des capitaux étrangers grâce à des taux d’intérêt très
attractifs[13] et sur un secteur de services tournés
vers le luxe, l’immobilier et la restauration pour satisfaire une clientèle
exigeante originaire des pays du Golfe. Mais la guerre en Syrie s’est
faite sentir au Liban, et les tensions politiques suite à la
polarisation entre les pro-Damas et pro-opposition ont aggravé l’instabilité
d’un pays qui ne tient que par l’intermédiaire d’un consensus régional :
« Avec la chute des prix
du pétrole en 2014, les flux financiers provenant des pays du Golfe se sont
taris – tout comme le tourisme saoudien, qatari ou émirati au Liban »[14].
Les revenus s’effondrent alors que le déficit public
devient abyssal. La Banque du Liban alimente le circuit en dollars via
des montages économiques de plus en plus douteux et des taux d’intérêt
exceptionnels[15]. Aussi, les disparités économiques
deviennent insupportables alors que « les inégalités de revenus sont
également considérables : 0,1 % des Libanais les plus aisés — environ
3 000 individus — gagnent autant que les 50 % les plus pauvres des
Libanais, qui ne captent que 10 % du revenu national. Ces
ultrariches ont par ailleurs un revenu moyen supérieur à ceux de leurs
homologues d’Europe de l’Ouest »[16].
En contrepartie d’une promesse
d’aide de la communauté internationale[17], le gouvernement adopte en mai 2019 un
plan d’austérité qui prévoit entre autres le gel des recrutements, y
compris dans l’armée, et l’arrêt des départs anticipés à la retraite pendant
trois ans. S’en suivront plusieurs mobilisations, notamment des
retraités de l’armée, des instituteurs et professeurs vacataires, et des
fonctionnaires de l’hôpital gouvernemental Rafik Hariri qui demandaient une
réévaluation de leurs salaires depuis 2017.
De la crise de la gestion des
ordures en 2015 aux pénuries croissantes d’électricité dans un pays où
certaines régions connaissent jusqu’à douze heures de coupure par jour, en
passant par les scandales liés à la pollution des eaux, l’explosion
sociale de l’automne dernier n’est que la conséquence d’une accumulation
d’échecs des pouvoirs publics. À l’instar de l’Irak, le Liban pataugera des
mois avant qu’un nouveau gouvernement ne voie le jour, tandis que les citoyens
ont perdu confiance dans l’élite au pouvoir.
Partant, les premiers cas de
malades du Covid-19 ont été diagnostiqués alors que le Liban déclarait son premier
défaut de paiement sur sa dette[18]. Les banques avaient depuis des mois limité
les retraits en dollars et restreint l’accès des dépositaires à leur épargne
pour éviter un défaut de liquidité. Face à l’incertitude, la livre libanaise
indexée officiellement à parité fixe au dollar depuis 1997 (en réalité la
parité à 1507,5 livres le dollar était une réalité depuis 1992) a atteint 3000
livres le dollar[19], ce qui lui a fait perdre 100 % de
sa valeur.
Dans un pays où l’économie est
dollarisée, l’inflation atteint une moyenne de plus de 10 %[20]. En tout état de cause, les mesures de confinement
fragilisent encore plus les franges les plus pauvres de la société, notamment les
travailleurs journaliers, les petits commerces et les employés du secteur des
services.
·
Le Covid
et ses conséquences sociales
La plupart des pays de la région
ont pris des mesures relativement rapides face à l’épidémie, en raison de
l’état des infrastructures sanitaires qui ne tiendraient pas si l’épidémie se
répandait.
Au Liban, le secteur hospitalier est
largement privatisé, « on dénombre 138 hôpitaux privés, dont 11 CHU,
c’est-à-dire environ 85 % des lits hospitaliers »[21]. Mais la crise du Covid-19 a été l’occasion
pour le CHU Rafiq Hariri, plus grand hôpital public du pays, de redorer
le blason du secteur public, étant le seul à être habilité et équipé
pour traiter les patients notamment les cas les plus graves[22]. Par ailleurs, les tests y sont gratuits
alors que les hôpitaux privés continuent de les facturer, en
infraction avec la décision du Ministère de la Santé.
Les autorités publiques sont
conscientes qu’il faut maîtriser coûte que coûte la courbe de contamination
afin d’éviter une saturation des hôpitaux alors que le secteur de la santé
a reçu moins de 7 % des dépenses budgétaires en 2018. Les
inégalités entre les régions sont importantes et les nouveaux cas dans les casa
de Bshareh dans le Nord-Est, et à Tripoli dans le Nord, deuxième plus grande
ville du pays et dont la moitié de la population vit sous le seuil de
pauvreté selon un rapport du PNUD, font craindre le pire. Le pays redoute
de ne pas être en mesure de se fournir en équipements non seulement en raison
de la pénurie mondiale, mais également à cause de sa crise économique et
financière :
« Les équipements de
protection ne sont pas produits au Liban. Avec la crise économique, les
importer s’avère très difficile »[23].
Pour faire face à cette
situation, le nouveau gouvernement qui a vu le jour le 21 janvier 2020 a pris
plusieurs mesures :
1) Le 18 mars l’État a décidé la fermeture de toutes les
frontières terrestres, maritimes et aériennes, ce qui a conduit à l’isolement
total du pays, une première dans son histoire.
2) La mobilisation générale a été décrétée par le
président de la République et le Conseil supérieur de défense, « elle
permet aux autorités de prendre des mesures d’exception pour endiguer
l’épidémie. Les mesures de confinement ont depuis été renforcées par l’armée.
Au matin du 22 mars, des hélicoptères militaires sillonnent Beyrouth avec
des haut-parleurs, appelant les citoyens à rester chez eux »[24].
3) 3) Le gouvernement a demandé à la Banque
Mondiale un fonds d’urgence de 40 millions de dollars qui a été octroyé
sous forme de prêt[25].
Outre des mesures de confinement,
un couvre-feu a été imposé sur l’ensemble du territoire de 19h à
5h du matin, et la circulation a été alternée durant la journée. Mais le
respect des mesures de confinement varie selon les conditions objectives
des populations affectées. À Tripoli, où une grande partie de la
population survit depuis des années grâce à l’économie informelle et le
travail journalier, les mesures de confinement ont aggravé une situation
qui était déjà calamiteuse. Il en est de même dans la Bekaa, les zones
périurbaines et les banlieues pauvres de Beyrouth. Des manifestations
de la faim ont vu le jour dans la banlieue sud de Beyrouth, à Tripoli et
dans le Nord. Le Premier Ministre a promis une distribution de chèques de
trente euros par famille et des paniers alimentaires, mais pas avant
plusieurs semaines[26]. En attendant, les partis politiques se sont
mobilisés pour compenser les défaillances de l’État dont ils sont en bonne
partie responsables.
En Irak, la situation n’est guère
meilleure et l’inquiétude est grande. En effet, le gouvernement
démissionnaire avait adopté le 6 mars 2020 une fermeture totale des
lieux publics (centres commerciaux, cinémas, cafés, restaurants, piscines),
ainsi que celles des établissements scolaires et universitaires. Les ministères
ont réduit leur activité de moitié, à l’exception des services de sécurité
et de santé. Le gouvernement irakien a instauré le 16 mars un couvre-feu
(interdiction complète et permanente de circulation) à Bagdad. Les vols
à destination de l’Irak ont été suspendus dès le 17 mars, ainsi que l’interdiction
des déplacements entre gouvernorats.
« À cause de cette
dernière guerre, mais aussi de toutes les violences ayant ravagé l’Irak
depuis les années 1980, les infrastructures de ce pays de 40
millions d’habitants sont à genoux, et les hôpitaux sont en pénurie
chronique de lits, de médecins et de médicaments »[27].
Alors qu’officiellement le
nombre de malades est de 1500, Reuters a publié un article dans
lequel l’agence affirmait qu’il y aurait entre 3000 et 9000 cas[28]. Il est vrai que le respect des mesures de confinement
a tardé, alors qu’elles avaient été décrétées début mars : elles
n’ont guère empêché des milliers de pèlerins de prendre part à la
commémoration de la mort de l’Imam Moussa Al-Kadhem, à Baghdad, le 21 mars
dernier. Les forces de sécurité tentent tant bien que mal d’imposer le
confinement alors que tous les lieux saints ont été fermés et que les autorités
religieuses demandent aux citoyens de s’y soumettre.
L’État compte sur ces mesures pour
contrôler l’épidémie, conscient que les infrastructures du pays ne
tiendront pas autrement. Le secteur de la santé ne représente que 2,5 %
des dépenses budgétaires, les nombreuses guerres dont a souffert le pays
ont eu raison d’un des systèmes de santé qui comptaient parmi les plus
développés dans la région dans les années 1990. Selon un rapport de
l’UNICEF, 97 % de la population urbaine et 71 % de la population
rurale avaient accès aux soins en 1990, grâce à la gratuité des soins et à un
réseau important de médecins. Selon les Nations Unis, environ 20 000
médecins irakiens ont quitté le pays depuis 2003.
Deuxième exportateur de pétrole
dans le monde, l’État n’a pas aujourd’hui la possibilité de généraliser les
tests. À Mosul, seconde plus grande ville du pays, neuf hôpitaux
sur les treize que comptait la ville ont été détruits lors de la guerre
contre Daech, tandis qu’une grande partie de la ville n’a pas accès à l’eau
et aux infrastructures élémentaires. Selon Médecin Sans Frontières, il n’y
aurait que 1000 lits pour 1.8 millions de personnes alors que 70 % des
structures médicales de la ville ont été détruites[29]. À Sadr City, on ne compte que quatre
hôpitaux pour 3,5 millions d’habitants[30] et un manque chronique de personnel médical.
Si la crise économique du pays
avait poussé des milliers de manifestants dans les rues le 25 octobre 2019,
la crise sanitaire vient aggraver les conditions de vie précaires de la
population. Selon les Nations Unis, quatre millions d’Irakiens
survivent grâce à l’aide internationale qui risque, à cause de la crise
mondiale du Covid, de baisser drastiquement. Il y a encore 1,4 million de
déplacés dont 200 000 vivent toujours dans des camps de réfugiés.
Alors que l’État envisage de baisser les salaires des fonctionnaires
(soit 30 % de la population active), une grande partie de la population a
perdu ses sources de revenus à cause des mesures de confinement dans un pays où
les deux tiers des actifs travaillent dans le secteur informel[31].
« Ici, il y a deux choix.
Sois tu prends le risque de sortir, tu contractes le coronavirus et tu peux,
potentiellement, rester en vie ; soit tu meurs de faim ou de malnutrition chez
toi »[32], résume un médecin irakien.
C’est à l’évidence le dilemme
qui se pose aux peuples du Moyen-Orient.
·
Les
sanctions ou la continuation de la guerre par d’autres moyens
La Syrie, le Yémen et l’Iran doivent affronter la pandémie
en même temps que les sanctions internationales. Selon un rapport de l’ONU
datant de 2019, « 33 % de la population souffre
d’insécurité alimentaire
et environ 11,7 millions de Syriens ont besoin d’une des différentes formes d’aide humanitaire, comme de la nourriture, de l’eau potable, un logement, ou de services de santé »[33].
et environ 11,7 millions de Syriens ont besoin d’une des différentes formes d’aide humanitaire, comme de la nourriture, de l’eau potable, un logement, ou de services de santé »[33].
Les sanctions contre Damas
restreignent l’importation d’équipements médicaux pour faire face à l’épidémie.
« Toutes ces mesures
entravent nos efforts contre le virus », explique un médecin à Hama,
« j’essaie depuis des semaines de faire venir du matériel de laboratoire, même
la Croix-Rouge internationale n’arrive pas à m’aider »[34].
En 2018, le rapporteur spécial auprès
des Nations Unis avait déjà considéré que les sanctions constituaient
une punition collective pour la population.
Frappé par la famine, le choléra
et la dengue, le Yémen vit depuis plus de cinq ans une des plus
terribles crises humanitaires au monde. En septembre 2019, vingt-quatre
organisations internationales ont lancé un appel commun pour sonner
l’alerte et mobiliser la communauté internationale.
« L’utilisation de la
faim comme arme de guerre aggrave une situation humanitaire déjà
catastrophique. Environ 17 millions de personnes, soit plus de 60 % de
la population, souffrent d’insécurité alimentaire. Parmi elles, un
million de femmes enceintes et allaitantes et deux millions d’enfants souffrent
de malnutrition aiguë »[35].
Alors que le Conseil de
Sécurité des Nations Unis avait prolongé les sanctions contre le Yémen, un
premier cas de Covid a été détecté, mais les conditions sanitaires du pays ne
permettent pas de connaître pour l’instant les chiffres réels du nombre de
malades. Dans un entretien accordé à RFI[36], Yann Josses, coordinateur général de
Médecins du monde dans le pays, a déclaré :
« Le Yémen, ces dernières
années, a fait face à de nombreuses épidémies, l’épidémie de dengue,
mais surtout celle de choléra, très meurtrière. […] Il y a un manque
d’eau partout dans le Yémen. Enfin il y a une économie majoritairement
informelle, donc ça va être compliqué pour les autorités de fermer tous les
commerces. On a peur qu’il n’y ait pas de possibilités de confinement dans les
semaines ou les mois à venir ».
Enfin, l’Iran est l’un des foyers
les plus actifs de la pandémie de la région avec plus de 70 000 personnes touchées, et
4300 morts à l’heure où ces lignes sont écrites. Subissant un régime de
sanctions parmi les plus sévères de l’histoire contemporaine imposé par
Washington, Téhéran a hésité à fermer ses frontières de peur d’une asphyxie
totale. Les sanctions entravent les efforts de l’Iran pour maîtriser
l’épidémie. Alors que les hôpitaux sont au bord de la saturation, il y a
déjà des pénuries de « fournitures de base, notamment
des blouses, des gants, des masques, des lingettes à base d’alcool et des
désinfectants pour les mains, pour aider à traiter les victimes. La combinaison
de sanctions sévères, de la chute des prix du pétrole et du COVID-19 a
forcé l’Iran à demander au Fonds monétaire international un prêt
d’urgence de 5 milliards de dollars, sa première demande depuis 1962 »[37].
Malgré l’approbation des pays
européens, le FMI a refusé ce prêt à cause des pressions de Washington.
En outre, les sanctions secondaires empêchent toutes transactions bancaires entre l’Iran et le reste du monde, « la puissance des sanctions américaines ne peut être contournée que de manière marginale. De fait, la capacité de l’Iran à acquérir les équipements dont ses soignants ont besoin dépend du bon vouloir de Washington et des gestes d’assouplissement que l’administration Trump à le pouvoir de mettre en œuvre »[38].
En outre, les sanctions secondaires empêchent toutes transactions bancaires entre l’Iran et le reste du monde, « la puissance des sanctions américaines ne peut être contournée que de manière marginale. De fait, la capacité de l’Iran à acquérir les équipements dont ses soignants ont besoin dépend du bon vouloir de Washington et des gestes d’assouplissement que l’administration Trump à le pouvoir de mettre en œuvre »[38].
Signe des
temps qui changent ? Un appel pour alléger les sanctions contre
Téhéran a été signé par plusieurs ex-diplomates, dont Madeleine Albright,
ex-Secrétaire d’État aux Affaires étrangères sous l’administration de Bill
Clinton, quand les sanctions contre l’Irak faisaient un million et demi de
morts.
Au Moyen-Orient, la crise du
Covid-19 s’inscrit dans un contexte de crises multidimensionnelles. Si les
populations de la région trouvent souvent un appui précieux dans les
solidarités familiales et communautaires, celles-ci ne peuvent se substituer à
l’État, seul capable de prendre des mesures de protection à grande échelle. Or,
les guerres coloniales et impérialistes commencées le siècle dernier et qui se
poursuivent aujourd’hui encore ont conduit à la décomposition des États. Même
si les conséquences socio-économiques de la pandémie ne sont pas encore
quantifiables, elles viendront sans conteste aggraver une situation déjà
insoutenable.
NB : Les illustrations
ne font pas partie du texte initial de Contretemps.eu
Notes
[1]Les scandales pour corruption ont
fait l’objet d’une couverture médiatique très extensive depuis les affaires du
programme « Pétrole contre nourriture ». Voir « Pétrole contre
nourriture, un scandale mondial », le Monde, le 5 août 2011. Voir
également les scandales sous le gouvernement de Nouri Al-Maliki :
« Par sa politique, Nouri al-Maliki a contribué à favoriser la montée de
l’EI en Irak », France 24, le17 août 2015. Pour les lecteurs
arabophones, voire l’excellente enquête menée par la chaîne allemande Deutche
Welle : https://www.youtube.com/watch?v=Mp7Hi28iDps&list=PL39hwvCrmCxstGtCVOJqTY_Lrb55QIZ-f&index=56&t=0s
[2]« The medical crisis that’s
aggravating Iraq’s unrest », Reuters, 2 mars 2020
[3]« Covid-19 en Syrie : sur
tous les fronts, quoi qu’il en coûte ! », Libération, Collectif, le
9 avril 2020.
[4]Le 8 avril 2020, l’Arabie
Saoudite a décrété un cessez-le-feu unilatéral.
[5]« Les humanitaires
s’inquiètent du premier cas de coronavirus au Yémen en guerre »,
France 24, le 11 avril 2020.
[6]Les FMP dites Hachd Al-Chaabi
ont vu le jour suite à une fatwa de la plus haute autorité religieuse chiite
irakienne, l’ayatollah Ali Al-Sistani en juin 2014, après que Mosul soit tombée
sous le contrôle de l’ « État Islamique » et en réponse à
l’échec de l’armée irakienne à tenir le front. Les FMP sont une coalition de
plusieurs factions armées, certaines nées sous l’occupation américaine alors
que d’autres ont été créées à l’occasion.
[7]Son héritage familial et son
opposition à l’occupation américaine lui valent une forte popularité, notamment
dans les zones pauvres, telles que la banlieue nord-est de Bagdad nommée Sadr
City et dans certaines villes du sud du pays.
[8]« Pentagon Order to Plan for
Escalation in Iraq Meets Warning From Top Commander », New York Times,
le 27 mars 2020.
[9]« Abou Mehdi Al-Mouhandis,
l’autre victime du raid contre Soleimani », Libération, 3 janvier
2020.
[10]« Donald Trump menace l’Irak
de sanctions », BBC, 6 janvier 2020.
[11]« Oil Prices Crash, Virus
Hits, Commerce Stops: Iraq Is in Trouble, New York Times », le 29 mars
2020.
[12]« Is another economic crisis
looming in Iraq, with dropping oil prices? », Al Monitor, le 26
mars 2020.
[13]« Entre 1994 et 1998, les
banques libanaises attiraient les dépôts en les rémunérant largement au-dessus
des taux internationaux, avec un différentiel allant parfois jusqu’à 10 %,
et les plaçaient dans des bons du Trésor qui rapportaient entre 18 et 42 % »,
Riad Salamé : l’ingénieur du système, Le Commerce du Levant, 2 Juin 2017.
[14]« Aux racines économiques du
soulèvement libanais », Le Monde Diplomatique, janvier 2020.
[15]« Vu les taux d’intérêt, jusqu’à
12 % pour les dépôts en livres libanaises et 8 % pour ceux en dollars
proposés par les banques, ceux qui ont un peu d’argent préfèrent le bloquer en
dépôt », Le Monde, le 24 septembre 2019.
[16]« 3000 individus gagnent
autant que 50 % des Libanais les plus pauvres », Le Commerce du
Levant, novembre 2019.
[17]Conférence dite de CEDRE tenue à
Paris en avril 2018.
[18]« Le Liban en défaut de
paiement : et maintenant ? », L’Orient-Le Jour, le 8 mars 2020.
[19]« Taux constaté sur le
marché de change informel », le 9 avril 2020.
[20]« Lebanon’s Inflation Rate
Rose Aggressively, Hitting 10.04% in January 2020 », BlomInvest Report, 24
fev 2020.
[21]« État » de santé au Liban : une
médecine à deux vitesses ? L’IFPO, le 5 Mai 2015.
[22]La plupart des hôpitaux privés
avaient refusé dans un premier temps d’accueillir les malades, avant de se
rétracter sous la pression du Ministre de la Santé et de l’opinion publique.
[23]« Covid-19 : le système de
santé libanais peut-il affronter l’épidémie ? », Le Commerce du Levant,
le 14.03.2020.
[24]« Le Liban de tous les
maux », Orient XXI, le 21 mars 2020.
[25]« L’épidémie du Covid-19 met à
rude épreuve un secteur de la santé déjà tendu et freine les efforts du Liban
dans sa lutte contre la pauvreté. On craint que l’épidémie ne touche
particulièrement les pauvres et la population de réfugiés », peut-on lire dans
ce communiqué de l’institution financière qui salue les efforts du gouvernement
libanais dans la lutte contre la pandémie ». L’Orient-Le Jour, le 4
avril 2020.
[26]« Coronavirus: au Liban,
manifestation de la faim en plein confinement », RFI, le 31 mars 2020.
[27]« Dans l’Irak confiné, soupe
populaire et masques faits maison », France 24, le 5 avril 2020.
[28]« Iraq has confirmed
thousands more COVID-19 cases than reported », medics say, Reuters, le
2.04.2020.
[29]« IRAK, Mossoul: Un an
après, un système de santé toujours en ruines », MSF, le 9 Juillet 2018.
[30]« Irak : à Sadr City, 4
hôpitaux pour 3,5 millions d’habitants », MSF, le 8 avril 2019.
[31]« COVID-19 in Iraq: the
virus of social inequality », Open Democracy, le 1 avril 2020.
[32]« L’État irakien au bord de
l’effondrement », L’Orient-Le Jour, le 7 avril 2020.
[33]Le régime syrien face à la crise
du Covid-19, L’Orient-Le Jour, le 8 avril 2020.
[34]Coronavirus : en Syrie, l’effet
boomerang des sanctions américaines, Le Monde, le 4 avril 2020.
[35]Yémen : la crise humanitaire
s’aggrave dans un pays dévasté, alertent 24 ONG, site de l’association CARE,
septembre 2019.
[36]Coronavirus: le Yémen confronté à
une nouvelle guerre, RFI, le 10 Avril 2020.
[37]Iran’s Coronavirus Disaster,
Carnegie Endowment for International Peace, le 25 Mars 2020.
[38]En raison du coronavirus, l’Iran
demande la levée des sanctions américaines, Le Monde, le 4 avril 2020.
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