On pourrait penser que Trump,
Duterte, Bolsonaro et les autres "hommes forts" élus au lendemain de
la crise de 2008 sortiraient politiquement affaiblis et discrédités par une
crise sanitaire qui a révélé leur incompétence. Pourtant, certains observateurs
penchent pour un scénario moins optimiste...
Lors de la crise des subprimes,
une crise financière, provoquée par la rapacité et l’inconséquence des
banques, le capitalisme paraissait sur la sellette. D’innombrables
essais et articles, publiés il y a une dizaine d’années, nous annonçaient la
disparition imminente d’un système économique où les mouvements de capitaux
avaient divorcé de l’économie réelle. Sur le plan politique, il paraissait
évident, à la grande majorité des observateurs, que cette crise du capitalisme
allait nécessairement bénéficier aux partis les plus à gauche de l’échiquier
politique. Et les médias donnèrent alors un écho démesuré aux mouvements
"Occupy" qui semblaient en apporter la démonstration.
·
La crise
des subprimes : un précédent qui devrait inciter les prévisionnistes à la
prudence
Or, non seulement le système
capitaliste n’a nullement été abrogé, ni remplacé, mais politiquement et dans
le monde entier, ce sont les populistes de droite qui ont eu
le vent en poupe. Et ce n’est certes pas le capitalisme qu’ils menacent,
mais les libertés publiques, les droits de l’opposition, l’indépendance
de la magistrature et des médias. Dans des démocraties représentatives
devenues de plus en plus méritocratiques, ils ont su capter
l’exaspération des peuples envers les élites, les experts, les supériorités de
toute nature.
Ainsi, la crise des subprimes
a-t-elle accouché, dans d’authentiques démocraties, de personnages aussi
inattendus que Modi, Erdogan, Bolsonaro, Orban, Salvini, Duterte, Trump,
BoJo…
Toute une panoplie "d’hommes forts" et de "démocrates illibéraux" qui se prennent pour
"le peuple" et supportent mal toute limite à leur appétit de pouvoir. C’est pourquoi ceux qui se mêlent de prévisions politiques doivent faire preuve de prudence avant de se prononcer sur les conséquences politiques prévisibles de la crise en cours.
Toute une panoplie "d’hommes forts" et de "démocrates illibéraux" qui se prennent pour
"le peuple" et supportent mal toute limite à leur appétit de pouvoir. C’est pourquoi ceux qui se mêlent de prévisions politiques doivent faire preuve de prudence avant de se prononcer sur les conséquences politiques prévisibles de la crise en cours.
On peut toutefois formuler quelques
questions : le besoin de sécurité et le repli national vont-ils renforcer
le courant populiste ? A rebours, l’incompétence manifestée par la
plupart des "hommes forts" incitera-t-elle les
électeurs à renouer avec l’expertise ? Les mesures prises pour endiguer
la progression de l’épidémie ont érodé nombre de nos libertés fondamentales.
Peu s’en inquiètent. Allons-nous les récupérer entièrement ou pas ?
L’épidémie a trouvé dangereusement polarisées les nations jouissant
encore d’un régime démocratique. La crise économique et sociale qui va suivre
la crise sanitaire va-t-elle aggraver ces antagonismes politiques ou, au
contraire, les atténuer ?
·
2025. Le
scénario d'une inflation de l’autoritarisme, favorisé par les épidémies ?
On prétendait, en 2020, que les
régimes autoritaires, tels que celui qui dirige la Chine, à cause de leur
capacité à dissimuler les faits gênants, avaient tendance à favoriser la
propagation de l’épidémie. C’était exact ; mais l’inverse l’était
également : les épidémies facilitent l’expansion de l’autoritarisme,
écrit l’éditorialiste Bret Stephens, dans une chronique parue ces
jours-ci dans le New York Times mais datée… du 19 janvier 2025.
La pandémie a fourni tous les
prétextes
nécessaires aux dirigeants désireux de fermer les frontières, écrit
notre éditorialiste venu d’un futur proche. Ils ont imposé de sévères
restrictions aux voyages à l’étranger, bloqué les mouvements migratoires.
Les manifestations de l’opposition ont été interdites pour "raison
sanitaire". Les Etats contrôlent sévèrement l’information sous
prétexte de chasse aux fake news.
Bien sûr, Trump a été réélu
haut-la-main en novembre 2020, en promettant la mise en place d’un
Etat-providence sous contrôle étroit du gouvernement ; il lui permet de
récompenser les comtés qui votent pour lui. Il a nationalisé des dizaines de
banques, étendu le contrôle de Washington sur l’économie américaine. Le mur avec
le Mexique est devenu une réalité.
Au Mexique, l’effondrement de l’Etat a été
suivi de la prise du pouvoir par les cartels. La crise économique
mondiale a provoqué de sévères crises sociales dans les pays fragiles. Les
dirigeants russes, iraniens et bien d’autres réagissent par une agressivité
internationale très dangereuse. Des conflits armés ont éclaté ici ou là. De
plus graves se préparent. Cette montée des tensions renforce la méfiance et les
tendances à l’isolement qu’on constate dans les rues des grandes
capitales mondiales, où les lieux de sociabilité comme les bars, pubs et
restaurants sont devenus rares et peu fréquentés…
·
Le retour
en grâce des experts. Mais à chacun le sien...
Mais revenons en mai 2020.
L’année où Donald Trump, après avoir prédit que l’épidémie passerait
d’elle-même durant l’été comme une banale grippe, a préconisé l’hydrochloroquine,
puis l’injection de désinfectant ; où Rodrigo Duterte, aux Philippines,
a recommandé aux forces de police de tirer à vue sur les "fauteurs de
trouble" ; où Manuel Lopez Obrador, au Mexique,
a longtemps nié la réalité de l’épidémie, puis a prétendu faire reculer le virus avec un trèfle à quatre feuilles et une image pieuse, avant de se décider à confiner brusquement ses compatriotes pour deux mois ; où Jair Bolsonaro prétend que l’épidémie est une invention des médias de gauche et persiste à multiplier les bains de foule... Les dirigeants populistes ont, dans la séquence, particulièrement brillé par leur frivolité et le leur incompétence. Eux qui prétendaient "protéger le peuple" s’en sont montrés incapables.
a longtemps nié la réalité de l’épidémie, puis a prétendu faire reculer le virus avec un trèfle à quatre feuilles et une image pieuse, avant de se décider à confiner brusquement ses compatriotes pour deux mois ; où Jair Bolsonaro prétend que l’épidémie est une invention des médias de gauche et persiste à multiplier les bains de foule... Les dirigeants populistes ont, dans la séquence, particulièrement brillé par leur frivolité et le leur incompétence. Eux qui prétendaient "protéger le peuple" s’en sont montrés incapables.
Partout, l’opinion fait bien
davantage confiance aux experts : Anthony S. Fauci, aux Etats-Unis,
Christian Drosten en Allemagne, Anders Tegnell en Suède
sont devenus, dans leur pays, des personnalités de premier plan. Leur parole
pèse davantage que celle des dirigeants politiques. Dans de très nombreux
autres pays comme la France et la Grande-Bretagne, l’exécutif
s’appuie dorénavant sur un conseil scientifique, réunissant un panel de
médecins et d’épidémiologistes pour toute décision politique face à l’épidémie.
L’opinion, qui se passionne dorénavant
pour les problèmes sanitaires, va-t-elle s’éloigner des bonimenteurs lancés en
politique ? Pas sûr, selon Andres Velasco, économiste et ancien ministre
des Finances du Chili.
En réalité, tant face à la
pandémie que face à la crise économique et sociale qu’elle est en train de
provoquer, les gens doutent. Le confinement parviendra-t-il à limiter
le nombre de victimes, ou seulement à les étaler dans le temps ? Et
dans ce dernier cas, était-il vraiment indispensable ? Les mesures de
relance budgétaire vont-elles permettre de remettre les économies en
route ? Ne sont-elles pas trop inspirées de celles adoptées face à la
dernière crise - et donc inadaptées à celles que nous allons connaître ?
Les experts divergent. Et l’opinion se divise.
Chaque secteur appuie les experts dont les préconisations lui semblent
favoriser ses propres intérêts. Les uns veulent sortir le plus rapidement
possible du confinement parce que leur survie économique en dépend : les
indépendants, entrepreneurs grands et petits, agriculteurs, commerçants.
D’autres privilégient le prolongement du confinement parce qu’ils continuent à
percevoir leur salaire sans risquer de s’exposer à la contagion.
·
L'épidémie
crée de nouvelles inégalités, insuffisamment prises en compte
Les cols blancs apprécient
le télétravail. Les cols bleus n’y ont pas accès. Les jeunes ont
parfois le sentiment qu’on sacrifie leur avenir pour la sécurité des seniors.
Ceux qui vivent le confinement dans leurs maisons de campagne ne le vivent pas
exactement comme ceux qui subissent une colocation. Les professions "de
première ligne", comme les médecins et les infirmiers, paient
un prix démesuré à la crise. Celle-ci frappe de manière inégale
des sociétés dont la plupart avaient déjà connu auparavant une forte
amplification des inégalités.
Et pourtant, la lutte contre
l’épidémie nécessite une forte mobilisation des sociétés et un haut degré de consensus.
Là où il n’existe pas, il est habituellement remplacé par l’autoritarisme
étatique. L’issue, dans les sociétés démocratiques, écrit encore l'économiste
Andres Velasco, dépendra du degré de confiance des populations envers les
institutions et des individus entre eux. Là où la confiance n’existe pas,
les "hommes forts" populistes trouveront de nouvelles
opportunités.
·
Aux
Etats-Unis, une troublante similitude entre deux cartes
Aux Etats-Unis, où
l’élection de Donald Trump a polarisé le pays comme rarement dans son
histoire, la carte de la progression de l’épidémie coïncide dans une
large mesure avec la carte électorale. Les Etats densément peuplés des
deux côtés, atlantique et pacifique, sont beaucoup plus touchées par le
COVID-19 que ceux de l’intérieur du pays. Or, les premiers sont acquis au Parti
démocrate, les seconds à Trump.
Les premiers réclament le
confinement et la solidarité. Les seconds de pouvoir "rouvrir leurs
business", afin qu’on "leur restitue leurs vies".
Ce clivage en recoupe un autre : les minorités ethniques, vivant
dans les grandes villes densément peuplées, sont touchées de manière
disproportionnée, par rapport aux Blancs, majoritaires dans l’Amérique rurale.
À lire
aussi : Nancy Fraser : "Aux États-Unis,
l'épidémie met en lumière les problèmes systémiques et structurels"
·
Gestionnaires
de crise efficaces ou rhéteurs provocateurs :
à qui les électeurs donneront-ils leur prime ?
à qui les électeurs donneront-ils leur prime ?
Pourtant, relèvent deux
chercheuses du think tank Carnegie Endowment, Ashley Quarcoo et Rachel Kleinfeld, il existe des signes démontrant
des convergences bipartisanes prometteuses. Le stimulus budgétaire CARES, le
plus important de toute l’histoire financière des Etats-Unis, a été voté par 96
voix contre 0 au Sénat. Les sénateurs démocrates ont ainsi adopté le plan de
relance présenté par une administration républicaine. Mais c’est surtout
localement, au niveau des Etats fédérés, qu’on observe des convergences
encourageantes : sept gouverneurs du Midwest ont décidé de lutter
ensemble contre l’épidémie et ses conséquences. A l'appel des autorités
sanitaires de New York, 25 000 volontaires se sont mobilisés à travers
tout le pays. Ainsi, les électeurs sont-ils en train de réaliser que les
politiques bipartisanes et consensuelles sont plus efficaces.
Ce qui est frappant, lorsqu’on
regarde les sondages, c’est que l’électorat semble décidé à récompenser les
élus qui ont bien géré la lutte contre l’épidémie. Sans tenir compte de
leur appartenance partisane. Ainsi, le démocrate Andy Beshear, élu gouverneur du Kentucky dans un mouchoir de
poche (avec quelques milliers de voix d’avance) en décembre dernier
bénéficie-t-il de sondages très flatteurs. Même chose, pour Harry Logan, le gouverneur (républicain) du
Maryland. Les politiciens en tireront-ils la leçon que l’efficacité
gestionnaire paye davantage que les rhétoriques enflammées et clivantes
que persiste à utiliser leur Président ?
·
Trois
conseils aux décideurs politiques
Les crises les plus graves, écrivent encore Ashley Quarcoo
et Rachel Kleinfeld, ont souvent été une occasion de resserrer les
rangs. En psychologie, on parle de "recatégorisation"
pour décrire les processus par lesquels les oppositions entre "ingroups" (ou
endogroupes, ceux auxquels appartient un sujet) et "outgroups"
(ceux qui n’en sont pas) sont subsumés au profit d’une appartenance d’un degré
supérieur. Et de donner trois recettes pour y parvenir :
· Encourager les coopérations en
vue d’objectifs partagés
· S’adresser aux groupes en
question dans un lexique non-partisan
·
En
appeler à un degré d’appartenance commune aux groupes en question.
Il faut, en particulier, faire
référence à l’identité nationale et rappeler les normes sociales, afin de
rétablir la confiance entre les tribus politiques et les communautés. En
faisant respecter les règles sociales communes par tous, et en
fournissant de manière égalitaire les biens sociaux de base, les
gouvernements préviennent les comportements asociaux qui rendent plus difficile
de combattre l’épidémie. Si tout le monde a conscience d’être logé à la même
enseigne par un Etat qui assume ses responsabilités, la confiance peut revenir
et les gens arrêtent de stocker des produits de base au point de les rendre
indisponibles, voire de piller les magasins.
Face à la terrible crise
économique et sociale qui s’annonce pour cause de mise en panne prolongée des
appareils de production dans bien d’autres pays que les USA, ce sont des
conseils à méditer. Face à des ressources qui vont nécessairement se raréfier,
la concurrence entre groupes sociaux va s’aggraver. Il ne faudrait pas
que les plus exposés, les moins protégés, aient des raisons de penser que leurs
intérêts sont sacrifiés. Le fardeau devra être équitablement partagé.
NB : Les illustrations
ne font pas partie du texte initial de la France Culture
[1] https://www.franceculture.fr/politique/les-consequences-politiques-previsibles-de-la-crise-en-cours?actId=ebwp0YMB8s0XXev-swTWi6FWgZQt9biALyr5FYI13OrKiUMVu9NdVw2COrpmx1jG&actCampaignType=CAMPAIGN_MAIL&actSource=583711#xtor=EPR-2-[LaLettre05052020]
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