[TRIBUNE] Face Ã
l'incertitude du début de pandémie de Covid-19, la Suède a fait un choix plus
juste et plus moral que la France, qui se trouve être aussi plus efficace
jusqu'à présent.
Face au
coronavirus, il est un pays qui fait figure de mouton noir. Alors
que toute l'Europe est touchée et a confiné de manière plus ou moins
autoritaire sa population, la Suède a décidé
de faire un tout autre pari : celui de la confiance en la responsabilité individuelle.
de faire un tout autre pari : celui de la confiance en la responsabilité individuelle.
Si les
lycées et les universités assurent leurs cours à distance et si les
rassemblements de plus de cinquante personnes ont été interdits, l'État
scandinave n'a fermé ni les écoles, ni les restaurants, ni les frontières.
Le gouvernement informe et formule des recommandations sans les imposer.
Les Suédois sont appelés à respecter les consignes de distanciation sociale et
les personnes les plus fragiles à rester confinées.
La stratégie suédoise paie-t-elle ?
L'autolimitation
des Suédois, globalement appliquée, semble fonctionner. Les déplacements sur
de longues distances ont diminué de 90% pendant
les fêtes pascales. Les terrasses des restaurants ne sont pas bondées et tout
le monde prend ses précautions.
L'évolution
de la situation reste bien entendu incertaine. Le nombre de morts par
million d'habitants se trouve dans la tendance européenne des pays les
plus gravement atteints (France, Italie, Espagne) et significativement plus
que les voisins scandinaves (Norvège, Danemark, Finlande) qui ont tous
drastiquement confiné. Ces données doivent être prises avec beaucoup de
précautions, car le nombre de décès n'est pas calculé de la même manière
selon les pays. La situation n'est pas simple, notamment dans les maisons de retraite, et certains
scientifiques suédois appellent à des mesures plus strictes.
Comparer la mortalité avec le Danemark et la Norvège a ses limites. Les
morts sont inévitables et arriveront tôt ou tard car il est trop tard pour
contenir l'épidémie. La consigne des médecins consistant à aplatir la
courbe pour étaler les malades dans le temps n'a pas pour but d'empêcher
les décès du Covid-19, mais de prévenir les morts dues à la mise
à mal du système de soins.
Si l'on juge la réussite de la stratégie suédoise relativement à cette consigne, les hôpitaux suédois n'ont pas eu à souffrir de saturation et ont traité tous les malades au moins jusqu'à fin avril.
Si l'on juge la réussite de la stratégie suédoise relativement à cette consigne, les hôpitaux suédois n'ont pas eu à souffrir de saturation et ont traité tous les malades au moins jusqu'à fin avril.
L'approche
suédoise, d'un point de vue médical, aurait un autre avantage.
Même si elle est sujette à caution parmi les experts quant à son efficacité,
elle peut être vue comme un pari pour atteindre l'immunité de groupe.
Cela permettrait de limiter une deuxième ou une troisième vague qui risque de
toucher les pays ayant fortement confiné, comme la France, entraînant de
nouvelles restrictions toujours plus dommageables. L'épidémiologiste en chef de
l'Agence de santé publique suédoise, Anders Tegnell, a déclaré dans une récente interview qu'un
quart des Stockholmois auraient déjà été exposés et que l'immunité de groupe
pourrait être atteinte dans les prochaines semaines à Stockholm.
À lire aussi : En Suède, le Covid-19 n'a rien changé (ou presque)
Aurions-nous pu appliquer la méthode suédoise ?
La pandémie
du coronavirus touche toute l'Europe. Certains pays sont plus affectés que
d'autres. Les causes sont multiples : le manque d'anticipation, la
densité et la répartition géographique de la population, les facteurs
culturels, la capacité des systèmes de santé, la flexibilité de l'industrie
domestique, les restrictions aux importations, l'inertie des bureaucraties plus
ou moins omnipotentes et centralisées, mais aussi, malheureusement, une grande
part d'aléatoire difficilement explicable.
Aurions-nous
pu, en France, faire comme les Suédois ? Nos pays ne sont pas identiques. Le
pays est moins dense et accueille moins de tourisme international.
Culturellement, les Suédois ont des habitudes et une histoire politique
différentes. Ils n'ont pas le même rapport aux conseils sanitaires et Ã
l'État. Quatre Suédois sur cinq font confiance à l'Agence
de santé publique. Les recommandations des agences sont respectées
alors que nous avons parfois tendance à être plus méfiants, voire même complotistes
lorsqu'il s'agit de médicaments ou de vaccins.
Les
Français ne sont toutefois pas le peuple irresponsable, désordonné et incapable
d'appliquer des consignes sanitaires de manière volontaire que dépeignent les
personnes discréditant une approche à la suédoise dans l'Hexagone. Nombre
d'entre nous respectaient les conseils médicaux plusieurs semaines avant que
l'État n'impose des mesures très restrictives. Ateliers de masques artisanaux,
soutiens solidaires avec les soignants et les plus démunis, reconversions de
chaînes de production en urgence... Les initiatives, petites comme géantes de
la société civile et des entreprises sont capables de faire des miracles en
situation de crise.
En réalité,
nous ne savons pas ce qui aurait pu se passer si nous avions misé sur la
confiance et la responsabilité de chacun. Le refus du confinement
autoritaire ne signifie pas le rejet du confinement volontaire.
Probablement, certains auraient fait fi des recommandations médicales, mais
d'autres, peut-être plus nombreux, les auraient respectées. De multiples
mécanismes spontanés de pression sociale auraient pu inciter à plus de
précautions. La fermeture ou la limitation des accès aux lieux de rencontres
comme les marchés, les rues animées ou les sites de loisirs auraient pu aussi
être décidés de manière volontaire, locale et décentralisée, apportant ainsi
une réponse à l'émoi suscité par les images des fêtards agglutinés le week-end
du 15 mars. Réécrire l'histoire est forcément hasardeux, dans un sens comme
dans l'autre.
Aurions-nous dû appliquer la méthode suédoise ?
Une différence
majeure entre un confinement coercitif, uniforme et un
confinement consenti, décentralisé dans un contexte d'incertitude
extrême est que les mesures prises volontairement et localement peuvent
s'adapter de manière très rapide et efficace. Le processus de découverte et
d'apprentissage est bien plus performant. On aurait pu se rendre compte que
certains départements ou populations n'avaient pas besoin de tant de
contraintes tandis que d'autres régions nécessitaient plus de précautions.
On aurait
pu expérimenter des solutions et des protections moins coûteuses, découvrir des
arbitrages plus efficients et plus conciliants. Le fameux juste milieu que
les Suédois appellent «lagom». Individuellement, nous aurions pu adapter
nos comportements, et nous permettre quelques exceptions quand les situations
personnelles ou professionnelles le nécessitaient, comme aller voir un parent
mourant, ce que le confinement a interdit.
L'état
dramatique de notre activité productive était en outre prévisible. Si la
crise affecte tous les pays, la Suède pénalise bien moins son économie
que la France. Selon le journaliste Dominique
Seux, sur les 47 millions de Français âgés de plus de
18 ans, 34 millions dépendent désormais directement de l'État pour leurs
revenus. L'effondrement économique qui nous attend sera plus douloureux que si
le confinement avait été plus adaptatif. Depuis quelques semaines, nous savons
que le Covid-19 s'attaque durement aux plus vieux et épargne les jeunes.
Ces derniers auraient pu remettre plus rapidement la machine en marche tandis que nous aurions pu protéger plus encore nos aînés et ceux présentant des comorbidités.
Ces derniers auraient pu remettre plus rapidement la machine en marche tandis que nous aurions pu protéger plus encore nos aînés et ceux présentant des comorbidités.
À lire aussi : Aux Pays-Bas, le «confinement intelligent»
mènera-t-il à l'immunité collective face au Covid-19?
Aussi, il
n'est pas dit que les maux engendrés par le confinement soient moins
coûteux que les années de vie sauvées pour les personnes infectées (plus de la
moitié des décédés ont plus de 80 ans, l'espérance de vie est de 80
ans pour les hommes, 85 ans pour les femmes). Une économie en ruine, ce
sont des chômeurs, des dépressions, des suicides, des violences familiales qui
se multiplient. Mais aussi des moyens en moins pour la recherche médicale et
les hôpitaux qui devront soigner les malades de ces prochaines années. Les
conséquences sont encore plus dramatiques dans les pays pauvres qui dépendent
de nos exportations. Selon le Programme
alimentaire mondial de l'ONU, du fait de la pandémie de Covid-19, le
nombre de personnes confrontées à une crise alimentaire pourrait doubler
d'ici à fin 2020, atteignant plus de 250 millions.
Comme le
soulève l'écrivain suédois Johan Norberg, face à l'incertitude d'un tel
arbitrage, la Suède a d'abord appliqué le principe d'Hippocrate «d'abord
ne pas nuire» à l'économie. Précisons que Stefan Löfven, le Premier
ministre suédois qui a pris cette décision, n'est pas un ultralibéral
cynique, mais un ancien syndicaliste social-démocrate. Les Suédois sont
conscients que le choix entre la vie et l'économie est un faux dilemme,
les deux étant indissociables.
Un danger plus grand que le coronavirus : la dérive
autoritaire
Contrairement
à la Suède, nos libertés ont été complètement balayées. Liberté de
circuler, d'entreprendre, d'échanger : les mesures, plus ou moins justifiées,
ont été imposées sans véritable débat ni contrôle constitutionnel. Les
témoignages de l'arbitraire des forces de l'ordre se sont
multipliés autant que les discours martiaux du préfet de police de Paris. La prolongation des durées maximales de détention
provisoire inquiète les défenseurs des libertés publiques.
À Nice, les drones surveillant les passants ont transformé la cité en dystopie orwellienne que l'on pensait réservée à la dictature chinoise. L'état d'urgence sanitaire suspend les délais de transmission et d'examen des questions prioritaires de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel est aux abonnés absents au moment où il est le plus capital de protéger les droits humains face aux risques de l'arbitraire et des dérives autoritaires.
À Nice, les drones surveillant les passants ont transformé la cité en dystopie orwellienne que l'on pensait réservée à la dictature chinoise. L'état d'urgence sanitaire suspend les délais de transmission et d'examen des questions prioritaires de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel est aux abonnés absents au moment où il est le plus capital de protéger les droits humains face aux risques de l'arbitraire et des dérives autoritaires.
L'avocat François Sureau, auteur de
Sans la liberté, nous met
en garde : « Les Français ne sont pas un troupeau de moutons ou une garderie
d'enfants. Ils n'ont pas nécessairement besoin d'être d'abord
protégés ou rassurés, ils ont besoin d'une autorité politique qui leur
dise la vérité, et qui les traite comme des citoyens adultes. »
Le
formulaire de déplacement dérogatoire est la marque de l'infantilisation
d'État, comme si le comportement insouciant d'une minorité impliquait de
considérer tous les Français comme des irresponsables. Sur ce point, la Suède
n'est pas la seule. Nombre de nos voisins européens n'ont pas besoin de ce
genre d'attestation humiliant notre responsabilité pour appeler la population Ã
respecter les consignes de distanciation sociale des médecins.
Enfin,
méfions-nous du gouvernement des blouses. La santé, si elle est
essentielle, n'est pas une fin qui doit dicter la loi, sinon boire et
fumer devraient être interdits. Dans le cas du coronavirus, les seniors isolés
dans les Ehpad n'ont pendant un temps pas eu le droit de recevoir de la visite
de leur famille voire même de discuter avec leurs voisins de chambre. Les
personnes qui meurent loin des leurs, assignées à résidence, montrent que vouloir
faire le bien des gens à leur place leur fait parfois plus de mal. Une vie
sans la liberté de voir ses proches, quitte à devoir prendre des précautions
sanitaires, n'est pas une vie.
Garantir nos libertés, c'est protéger notre santé
Face aux incertitudes
de l'arbitrage entre liberté, responsabilité, maintien de l'activité
productive d'une part, et confinement, dérive autoritaire, effondrement de
l'économie d'autre part, la santé ne peut pas tout légitimer. Du fait de
sa violence aveugle et de son arbitraire, l'État ne devrait pas décider de quel
niveau de sécurité imposer aux individus pour leur bien.
Les
multiples défaillances de son omnipotence bureaucratique aggravent
d'ailleurs la crise. Les pénuries de masques et de gel
hydroalcoolique sont largement explicables par le fiasco des réquisitions
qui ont désorganisé les circuits de distribution classiques et par les
contrôles des prix qui ont raréfié l'offre. Ces échecs devraient nous inviter Ã
nous méfier tout autant du gouvernement que du coronavirus. Notre
acceptation de cette arrogance autoritaire créera un précédent qui laissera des
traces durables sur les libertés que les hommes de l'État, de gauche comme de
droite, se sentiront légitimes de bafouer lorsque de nouvelles menaces
surgiront.
La Suède
démontre qu'une situation de crise aussi grave que celle du Covid-19 ne peut
justifier de se défausser de sa responsabilité individuelle pour se jeter dans
la facilité de la dérive autoritaire. Face à l'incertitude du début de
pandémie, la Suède a fait un choix plus juste et plus moral, qui se trouve être
aussi plus efficace jusqu'à présent. Et même si demain les hôpitaux suédois
arrivaient à saturation, rien ne permettrait d'affirmer que les Suédois ne
réagiraient pas en se confinant volontairement plus encore, avec plus
d'efficacité que nous ne pourrions l'envisager en France.
Nous,
Français, devons accepter cette leçon. Il est trop facile de se jeter
dans les bras de la dérive autoritaire au nom de l'urgence sanitaire, cajolés
dans l'illusion de richesse des milliards de subventions que nous devrons
irrémédiablement payer. Il est tout aussi aisé de donner cette leçon après
coup. Comme le dit Johan Norberg, soyons
reconnaissants aux Suédois d'avoir eu le courage de miser sur la liberté et
la responsabilité jusqu'à présent. Espérons qu'ils auront la persévérance
de continuer sur cette voie.
Nous nous sommes
fourvoyés dans la panique, et avons oublié que nous infantiliser dans un
confinement arbitraire est une insulte à notre responsabilité, et donc à notre
liberté, dommageable pour notre santé et pour notre avenir. Même dans le cas
d'une pandémie, la liberté (responsable) est non négociable. Tâchons
désormais d'appliquer ce premier principe de notre devise au plus vite dans le
cadre du déconfinement ou d'une éventuelle recrudescence du virus
post-confinement
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire